Soïli avait grandi dans un milieu où la rigueur prenait une place centrale dans son foyer. Ses parents souhaitaient faire de lui l'extension d'eux même ou plutôt, la version parfaite d'eux même. Ainsi on l'avait inscrit à la danse classique et à la gymnastique dès l'âge de cinq ans, le poussant à être encore et toujours meilleur, comme pour réaliser le rêve de sa mère qui avait dû abandonner son sport favoris à cause de sa grossesse.
Quant à son père, ayant lâché ses études de lettres en cours de doctorat afin de subvenir plus rapidement aux besoins de sa famille, il exigeait de Soïli qu'il majorât dans toutes les matières littéraires, au détriment des sciences et des arts. Alors, victime d'un emploi du temps bien trop chargé pour un enfant, il se retrouvait à fuguer de temps à autre. Jamais plus de deux heures, juste pour respirer un peu.
À l'école, on le malmenait pour ses connaissances et ses sports jugés trop féminins et dans son gymnase pour son apparence qui faisait "tâche" dans la salle. Il développait ainsi complexe sur complexe, détestant ses parents pour leur emprise sur lui. Ils en faisaient leur poupée, leur rat de laboratoire sur lequel ils expérimentaient tout ce qui semblait pouvoir en faire surhomme. Mais, eux, n'avaient rien d'exemplaire.
Ils revêtaient en public l'illusion d'une famille parfaite : père employé de bureau dans une boîte pas trop mal et mère femme au foyer dont la cuisine surpassait les restaurants soi-disant ; locataire d'une maison moyenne et propriétaire d'un petit appartement en banlieue d'Edimbourg. Cependant, il suffisait de passer le seuil d'entrée de leur demeure pour se rendre compte qu'elle n'était qu'une couverture au complexe d'infériorité de Monsieur Gessner.
Ce dernier, trop ambitieux, relâchait sa frustration sur sa femme dont la culture prônait une soumission totale à son mari. On pouvait compter le nombre de verres explosés au sol en accord avec celui des bleus qui apparaissaient sur la peau de Shadée Choudarhy (de son nom de jeune fille). Tout était prétexte aux coups. Que ce fût le parquet pas assez étincelant, le dîner trop épicé ou une posture trop désinvolte. Mais le sujet principal était, bien évidemment, le fils.
Cet enfant ingrat qui n'était pas fichu de travailler quand on lui demandait de travailler et de s'entraîner quand on lui demandait de s'entraîner, qui prétextait la fatigue ou la maladie pour procrastiner au lit. Il n'était que le résultat de ses deux parents alors, étant donné que le père était tout à fait irréprochable, ses failles ne pouvaient venir que de la mère.
Soïli avait bien essayé de pousser son père à le punir, lui, pour ses propres erreurs, à le défier du regard en espérant l'agacer assez pour qu'il déversât sa colère sur lui et non sa mère — mais il ne récolta jamais plus qu'une gifle. Il fallait dire qu'un enfant qui défit un adulte de sa voix flutante, de son visage joufflu et de ses grands yeux pétillants, ne pouvait donner à quique ce fût, pas même un homme tel que monsieur Gessner, une quelconque volonté de blesser.
Alors Soïlindrat dû réfléchir à une autre solution. Il demanda à Wang Shun, un ami qu'il avait rencontré lors de ses fugues, une façon de remplacer sa mère. Il pouvait, disait-il, bien mieux encaisser les coups qu'elle et comme cela, Shadée ne refuserait plus de venir se baigner à la mer sous prétexte qu'elle n'était pas assez jolie pour se découvrir. Cet après-midi là, Shun avait fixé Soïli un long moment, arrangeant sa coiffure d'un air distrait avant de lui rétorquer : "laisse pousser tes cheveux et ton père n'y verra que du feu." Puis il avait rit.
Ce n'était rien de plus qu'une plaisanterie innocente, et pourtant, Soïli ne laissa plus personne écourter ses mèches.
Deux ans plus tard, ses boucles frolaient déjà ses omoplates mais ce n'était pas assez. Car sa mère possédait de long cheveux tout à fait raide qui tombaient jusqu'à ses hanches. Il avait dix ans à cette époque et commençait déjà à la dépasser d'un centimètre. Alors plus le temps passait et plus il craignait que la supercherie ne fonctionnât plus lorsqu'il entrerait réellement dans sa puberté. Mais heureusement pour lui, son visage restait inchangé, si ce n'était ses joues qui s'affinaient subtilement. Et puisque l'on ventait constamment sa ressemblance avec sa mère, il se satisfaisait sur ce point là.
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Hédonisme
غموض / إثارةÉcosse 1950 : Alors que l'économie du pays chute drastiquement pour plonger la population dans la misère, un nouveau système illégal se met en place. Né de la rage des banlieusards et des anciens combattants envers l'État dépendant de l'Angleterre...