Hédonisme

Chapitre 4 : Deux contrats pour une seule âme

A la suite du déjeuner et de la pause, il était dans l'ordre des choses de faire des jeux collectifs afin de renforcer l'esprit d'équipe et les liens entre membre du club Wilson.

Les activités relataient plus ou moins de l'ordinaire : relais, tire à la corde ainsi que quelques concours d'endurance. De ce fait, Soïli était parvenu à s'intégrer un peu plus dans l'organisation malgré le fait que son apparence raffinée que certains nommaient de "féminine", fût à l'origine de remarques désobligeantes voire de moqueries.

Ensuite était venu le dîner, organisé dans la même salle que le déjeuner ; de la viande et des légumes au menu. Là, Gessner voulut discuter comme plus tôt, avec Artième, sauf que Minam refusait de le lâcher. Il s'accrochait à lui à chaque fois qu'il tentait de partir et grognait lorsque quiconque s'approchait un peu trop près de son protégé. Soïli mourrait d'envie d'étrangler cet animal sauvage ; mais, se souvenant de sa corvée de vaisselle, il restait simplement silencieux et statique, minant l'indifférence.

Après s'être douché sans trop d'encombres (mis à part Minam qui passait son temps à faire "accidentellement" tomber son cube de savon juste à côté de son colocataire), Soïli fut appelé par Aron. Une fois arrivé dans son bureau, l'entraîneur l'invita à s'assoir sur une chaise en face de lui.

Cet endroit étroit dans lequel des centaines de photos encadrées ornaient le mur, accompagnées de quelques médailles d'or ou de bronze, dégageait une atmosphère aussi sévère qu'étrangement chaleureuse. Peut-être était-ce dû à sa taille ou peut-être juste aux images d'équipe que l'on aurait pu confondre avec celles d'une famille multiethnique.

Enfin peu importait. Soïli gardait le silence, attendant qu'Aron ne prononçât quelque chose. Il se demandait s'il avait encore fait une erreur : une attitude peut-être trop désinvolte, ou un comportement inapproprié dans certains endroits, ou encore un manque d'implication quant à une tâche quotidienne. Il n'en savait trop rien et, plus les secondes passaient, et plus le jeune homme se questionnait.

   — C'est difficile ? prononça enfin l'entraîneur.

Soïli prit un petit temps pour saisir ce qu'il entendait par ce "c" apostrophe ; mais finit par comprendre que ce sujet ne pouvait être qu'un seul et même : la vie au club.

   — Ça ira, répondit-il.

Le fait était qu'il ne pouvait ni répondre par la négative, car ce serait mentir ; ni répliquer avec un "oui" puisque ce serait admettre qu'il n'avait pas les capacités pour supporter ce nouvel environnement. Alors, en rétorquant cette courte phrase, il montrait non seulement son implication quant à l'organisation, mais surtout une forme d'audace. Il ne voulait pas partir.

"Ça va" était une structure syntaxique qui sous-entendait qu'il ne prévoyait pas l'avenir, qu'il ne l'envisageait pas et qu'il se contenterait d'attendre ; attendre tant que "ça va". Lorsque ça n'ira plus, alors ce sera terminé sans qu'il n'eût été maître de quoique ce fut. Voilà pourquoi Soïli avait modifié la forme de cette phrase passe partout. Il l'avait mise au futur, montrant ainsi que, tout le temps qu'il serait ici, ça ira. Et ce peu importe ce qu'il rencontrerait sur cette route. "Ça ira".

  Ainsi, il avait parfaitement répondu. Aron sourit et sortit un document de son tiroir droit afin de le lui tendre en un son glissant d'une feuille sur du bois poli. Il posa ensuite un stylo plume parallèle au dossier, et s'enfonça dans son siège en cuir, les bras croisés. L'entraîneur observait le nouveau avec attention, une lueur d'amusement dans le regard.

   — Lis soigneusement ce contrat et signe le si tu penses que ça "ira" toujours.

Soïli serra sa mâchoire, l'air sérieux. Il comprenait que sa vie n'était à présent plus son terrain de jeu. Il avait toujours vécu selon les règles de la fortune et celles qu'il créait lui-même ; cependant, en faisant baver le liquide foncé sur cette feuille blanche, le terrain changerait inéluctablement.