Chapitre 10 : Soif, sensation et sentiments

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   Soïli se tournait et se retournait dans son lit tiède au bois grinçant. Il ne parvenait à trouver le sommeil. Artième l'avait inondé de questions à la seconde même où il était revenu de sa discussion avec Gun, et il cherchait encore des réponses à la moitié d'entre elles. Pourquoi le sénior avait-il réagit si violemment ? Qu'est-ce qu'il attendait exactement de lui ? Qu'elle était la relation entre-eux ?

Il avait rétorqué à cela des semblants brefs et flous d'affirmation afin de s'en débarrasser. Cependant, lui même avait ses propres interrogations. Et elles portaient toutes sur une seule chose : la dernière phrase de Günther. "Tu m'appartient". Voilà ce que cela disait. Mais depuis quand avait-il été d'accord avec ça ? À quel moment avait-il accepté d'être l'esclave de cet homme ?

Toute cette énigme tournait autour d'un mot : "hédoniste". Bien sûr, il n'était pas inconscient et avait, par conséquent, fais des recherches du mieux qu'il pouvait là-dessus. Et de ce qu'il avait compris, l'hédonisme est une philosophie de vie qui place le plaisir au centre de la réflexion humaine. Néanmoins, en quoi est-ce qu'en devenir un signifiait appartenir à Günther Sondheim ?

Soïli soupira. C'était à n'y rien comprendre. Il posa un bras paresseusement sur ses yeux et laissa ses pensées divaguer vers leur sujet favoris. Ce n'était ni Shun, ni ses parents, son style de combat, ou même Artième ; mais bien Gun. Ce serpent était parvenu à s'immiscer jusque dans ses songes les plus intimes afin de les envenimer de ses sensations déplacées. Le jeune homme haletait. Quelque fois, pour ne pas dire trop souvent, il s'autorisait à se faire mordre par le reptile afin d'éclater en une jouissance amorale.

Il s'endormait alors, le corps détendu par sa crispation passée, et l'esprit aussi vide qu'une coquille abandonnée. Au petit matin, il se convainquait d'avoir rêvé et enfouissait son désir sous des couches et des couches de fierté.

   Le jour du tournois officiel arrivait plus vite que Soïli espérait et tout comme la semaine d'avant, il ne parvenait toujours pas à rendre justice à ses nuits blanches de bains lunaires. Alors ses craintes s'étaient mises à déformer son imagination nocturne : parfois, on lui brisait le dos en le tordant jusqu'à ce que les premières et dernières vertèbres de son corps se rencontrent en un bruit d'os qui explose ; ou on le saisissait par les cheveux avec une telle violence qu'ils se détachaient de son crâne ; ou encore, on écrasait sa cuisse d'un coup de pied avant d'agriper son mollet pour le tirer vers le haut et retourner son genou en déchirant ses ligaments et déplaçant sa rotule.

Ces visions d'horreur le réveillaient en sursaut au beau milieu de la nuit, le cœur raisonnant bruyamment dans ses oreilles qui dissipaient peu à peu le bruit onirique de son corps meurtri, la peau luisant de sueur brûlante, et les muscles aussi raides que le bois sec de son lit superposé. Alors, pour s'endormir il ne trouva rien d'autre que de laisser Günther s'immiscer sous sa peau en des sensations qui le faisait rougir au levé du jour.

   Le matin de la veille de l'événement tant attendu, Soïli suivit les entraînements journaliers comme à son habitude si ce n'était l'affreuse torsion ventrale qui envahissait ses entrailles pour lui rappeler ce qui l'attendait le lendemain. Et ce fut cette même douleur qui lui faisait grincer des dents lorsqu'il entra dans l'octogone pour affronter son mentor — et très certainement perdre une fois de plus.

Il sautillait sur la pointe des pieds en prenant de profondes respirations pour calmer son pessimisme tout en fixant attentivement Artième des yeux. Ce dernier répondait à son regard avec un calme et une assurance telle que s'il n'était pas réputé pour sa bienveillance, on aurait pu confondre ce sang-froid avec de l'arrogance, voire de la moquerie. Et pourtant, bien que Soïli connût son adversaire peut-être mieux que quiconque ici présent, il ne pouvait empêcher son esprit de combattant de vouloir éteindre cette lueur qu'il percevait, malgré tout, comme hautaine.

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