Chapitre 11 : Carpe diem

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   — Nous avions un accord, et tu viens de le rompre.

À l'instant où Soïli réalisa la nature des documents que Gun brandissait, son corps cessa de fonctionner. Elles représentaient peut-être, à elles seules, la réponse ultime à tous ces doutes tortueux qui lacéraient sa tête jour et nuit.

Oui, un seul mot suffirait à le rassurer quant à la perte imminente de son âme et celle déjà enclenchée de son avenir. Ce nom dont la prononciation raisonne telle un chuchotement soufflé au creu d'une oreille, dont la longueur est si minime que l'on souhaite le murmurer encore et encore jusqu'à satisfaction, mais qui symbolise malgré tout l'ephémérité de la présence de son porteur : Shun.

Ce nom était peut-être là, à attendre qu'il le remarquât, le lût et l'effaçât légèrement de quelques possibles larmes, à souhaiter confier à Soïli assez de réconfort pour trouver une raison mortelle à se battre le jour suivant. Oui, peut-être se tenait-il juste là, à porté de main, là où juste lever un bras suffirait à le saisir et lui redonner foi en ses choix.
   Mais voilà qu'aussitôt que l'espoir gonflait sa poitrine, les paroles de Gun se bousculaient dans sa tête pour venir le lui arracher sans pitié.

Ce dernier tourna les talons et disparut derrière la porte blindée.

Le regard vide, fixant inconsciemment l'endroit où se tenaient encore les listes quelques secondes plus tôt, Soïli n'arrivait plus à réfléchir correctement. Il voulait se mettre en colère, hurler à son bourreau qu'il n'avait pas le droit de les réquisitionner, de s'en aller sans avoir rempli une seule fois sa part du contrat alors même que lui souffrait tous les jours à cause de la sienne. Il s'était même agenouillé sans poser de questions lorsque Gun le lui avait ordonné !

Néanmoins, il ne le pouvait pas. Le pari était trop risqué. Car, quand bien même Sondheim finissait par lui rendre son dû, si le nom de son ami n'y était pas inscrit, il n'y aurait plus de retour en arrière possible. Et alors, il se retrouverait à la case départ, à errer sans réelle stratégie dans ce club où tout jouait contre lui, en attendant que Shun apparût enfin devant lui par la grâce du Saint Esprit.

Non, il ne pouvait jouer de cet argument contre Gun. Il devait se plier, une fois de plus, à son moindre caprice.

Alors, il se rua vers l'entrée, longea les couloirs à toute vitesse dans l'espoir que le sénior ne se fût pas déjà réfugié derrière sa porte codée, et escalada les escaliers du premier étage jusqu'à l'apercevoir, dos à lui, à avancer au milieu de la salle d'entraînement.

   — Hé ! L'interpela-t-il.

Günther s'arrêta, se tourna lentement et avec juste assez d'énergie pour que son regard détaché s'alignât avec celui rempli d'émotions de toutes sortes, de Soïli. Ce dernier serrait les poings et écrasait à grandes enjambées les mètres qui les séparaient jusqu'à arriver à une distance convenable. Il pouvait sentir sur sa peau, brûler les regards curieux des autres juniors. Néanmoins, ce qui le consumait encore plus n'était rien d'autre que la glace nordique qui l'épiait sans relâche du haut de ses deux mètres.

Déstabilisé, mais ne voulant rien laisser paraître, le jeune homme s'accorda un petit temps pour ne pas flancher. Il prit discrètement une profonde inspiration afin d'apaiser le frétillement humiliant de ses muscles et baissa lentement ses paupières pour rompre ce contact insoutenable, au moins pour l'espace d'une seconde entière.

Personne ne pouvait deviner ce qu'il faisait, pourquoi il avait attendu avant de commencer à parler, ni pourquoi un de ses clignements s'étaient un peu trop éternisé car personne ne se souciait de ce genre de détails.
Mais Gun, lui, avait certainement dû le remarquer. Lui, se satisfaisait certainement de constater, juste sous ses yeux, un énième effet de sa présence sur le novice.

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