Chapitre 43 : contre-fatalisme

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   Ensuite, ce fut au tour de Soïli de dérouler son expérience.
Pour se faire, il prit un temps pour organiser ses pensées et finit par opter pour une approche prudente. Il savait que le monde dans lequel il s'était plongé ne pouvait être découvert par n'importe qui, encore moins par son meilleur ami qui en fut autant victime que lui-même. De ce fait, il lui expliqua comment il l'avait retrouvé plus que tout ce qu'il avait vécu, s'appliquant à omettre tout lien entre leurs deux expériences.

Il ne souhaitait pas impliquer Shun dans des affaires si dangereuses, de près ou de loin. Alors il lui parla en minant de ne savoir ni les motivations, ni l'identité des personnes qui avait été derrière tout ça. Cependant, il ne put s'empêcher de confier quelques unes de ses souffrances à son ami ; telles que ses combats sanglants, la manière dont on le traitait ou encore l'épisode de la chaise électrique. Tout le long de son récit, il dut s'interrompre pour laisser l'artiste pleurer sans qu'il ne manqua une seule de ses paroles, digérer certaines informations ou simplement plaisanter sur certaines anecdotes.

Puis, lorsque Shun eut fini de manger, ils s'installèrent dans le carré réservé aux cartes les plus rares, où se trouvait toujours Stuart (qui, bien agacé d'avoir été laissé sur le carreau, ne manqua pas d'être exécrable). Ainsi l'un collé à l'autre, Soïli le bras autour de la taille de son ami et ce dernier le sien reposé sur son épaule, ils discutèrent un long moment encore, avant que Shun n'annonçât devoir se retirer pour pouvoir répondre à ses obligations de musicien.

Soïli le suivit après avoir salué Sinclair et les deux amis sortirent de la boîte. Tous deux une cigarette entre les lèvres, ils s'embrassèrent une dernière fois avant que l'artiste ne rejoignit le reste de son groupe dans un van qui l'attendait depuis longtemps.

S'éloignant de l'entrée, Gessner fouillait ses poches à la recherche d'un briquet lorsqu'une flamme apparut en face de lui. Il tourna immédiatement la tête vers l'homme qui lui portait main forte et son visage se crispa.

   — On avait un programme, amorça Artième, qu'est-ce que tu fous ici ?

L'esprit de Soïli se brouilla de confusion. Par deux fois il entrouvrit les lèvres pour prononcer quelque chose, par deux fois il ne trouva rien. Son corps entier était épris de contradiction au point de le clouer sur place, devant cet homme à qui il avait accordé tant de confiance et qui avait participé à sa descente aux enfers. Lorsque son poing se fermait pour rêver d'épouser sa joue, des images de leur camaraderie lui revenaient en mémoire et alors il le détendait pour le crisper de nouveau à la seconde où elles s'entachaient du discours de Shun. Alors il encra son regard vers sa destination et poursuivit son chemin. Artième le retint.

   — Tu avais promis de me pardonner lorsque je te ferais un autre coup bas.

Si Soïli avait posé ses yeux sur lui à ce moment-là, il aurait pu apercevoir avec quelle fureur la panique avait envahi les traits si délicats du Sicilien. Mais il refusa de lui accorder une seule pitié, de le laisser diffuser en lui une énième émotion qui viendrait ajouter à son trouble. Il ne trouva ni les mots pour lui pointer l'incohérence de ses propos, ni même pour soulager la rage qui pesait sur son cœur. Il voulut se défaire de la poigne d'Artième mais ce dernier ne céda pas.

   — Il n'y a pas eu un seul moment où tu ne m'as pas trouvé lorsque tu avais besoin de moi. Je t'ai appris à te battre, je t'ai appris à te défendre, je t'ai intégré lorsque tout le monde te méprisait, et je t'ai même aidé en sachant que ça me nuirait alors tu n'as pas le droit de me tourner le dos.

Le garçon ne réagit pas. La raison pour laquelle le Sicilien était celui qui répartissait les adresses et celle pour laquelle il avait tenté de le faire abandonner l'idée de retrouver Shun, il les avait toujours prises pour de l'amitié, de l'attention un peu maladroite par moment mais bien venue pour la majorité du temps. Cependant il ne s'agissait en fait là que de la crainte d'être découvert, que d'une façon d'entraver ses recherches. Il se libéra enfin d'Artième et reprit sa marche. Ce dernier ne le suivit pas.

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