Chapitre 50 : Juste de la mauvaise foi

14 4 0
                                    

Lorsque Soïli se sépara de sa première victime, un intense vertige le prit à la tête. Le couloir face à lui semblait se déformer au rythme des talons d'Isaiah qui, pressé, le rappelait déjà à la tâche. Il fit donc un effort surhumain pour tenir sur ses jambes, ignorant la sensation glissante du sang sous ses semelles, et s'appuya contre le mur pour rattraper son mentor. Une fois un peu plus stable, il quitta la structure des doigts mais maintint tout de même un contact avec la lame de son couteau. Elle sillonnait le papier peint aux motifs hideux, en un son râpant et parfois aigü qui raisonnait jusque dans ses veines.

Ce n'était pas le remords qui altérait l'état de Soïli, ni même le dégoût face à son propre acte, mais une simple sensation de déréalité. Que ce fût marcher, s'arrêter, tuer ou suivre Isaiah, rien ne portait assez de sens pour qu'il pût faire un lien direct entre son corps et lui-même. Jamais il ne s'était sentit aussi éloigné de sa conscience, même dans un état de transe aussi pur qu'Isaac ou les combats aux Colisées avaient pu lui apporter, jamais il n'avait autant eu l'impression de ne pas être lui. Si des spasmes violents et douloureux s'étaient mis à étreindre ses muscles, si le monstre impitoyable que représente la morale lui avait dévoré la cervelle dès l'instant où il avait égorgé cet homme ou si son estomac s'était retourné complètement au point de lui donner une nausée insoutenable, là il se serait reconnu.

Mais rien.

Ce jour-là, il fit son travail de façon répétée, sans trop d'émotions ni de questions, laissant toujours sa lame traîner contre le mur pour s'accorder un semblant de contact avec la réalité.

   De ce que Soïli avait compris, le premier immeuble n'avait pas été "nettoyé" dans le but de réparer l'erreur d'Isaac. Il s'agissait là d'un premier avertissement qui laissait à Sinclair deux options : se rendre ou l'ignorer. Il choisit de l'ignorer. Alors, une trentaine de minutes après l'avertissement, les Kovaleski débarquaient dans une deuxième annexe de l'entreprise façade d'Alan-Harvey pour récidiver le même protocole. Se fondre dans la masse, monter jusqu'au dernier étage après s'être arrêté à celui juste en dessous, et égorger encore et toujours plus d'employés. Puis ils retournaient chaque bureau, un à un, jamais pour trouver les preuves de détournement de fonds, simplement à la recherche d'informations assez valuables pour proposer un accord en tenant l'ennemi en laisse.

Une guerre n'était pas l'objectif, mais lorsque le partie adverse refuse la paix, il faut bien lui prouver son importance.

Et il fallait faire vite. Arriver avant la destruction de documents ou la désertion des employés de l'ombre (tel était le nom attribué aux membres travaillant sur la face cachée de l'iceberg Sinclair, ceux dont on pouvait se débarrasser sans conséquence). Alors on enchaînait, n'ayant d'autre pause que les trajets de trente minutes d'une annexe à l'autre.

En deux jours, ils nettoyèrent tout Londres, tournant autour de la maison mère par soucis stratégique. Il fallait faire pression jusqu'à ce qu'elle cédât. Cependant, on n'eut aucune nouvelle de Sinclair alors, le troisième jour, dans les alentours de trois heures de l'après-midi, on se dirigea vers Birmingham. Là, seulement Soïli comprit où Caïn voulait en venir lorsqu'il l'avait rappelé à l'ordre. Ici, on ne dormait pas lorsque la nuit tombait, mais quand l'emploi du temps le permettait. Ainsi, à la seconde où Isaiah finit de lui confier les plans des prochaines annexes, les premiers bureaux vers lesquels se diriger et l'attitude à arborer lors de l'intrusion, il s'endormit.

Malgré les apparences, les Kovaleski étaient réputés pour leur discrétion. Ils étaient certes reconnaissables à des kilomètres pour quiconque les ayant ne serait-ce qu'aperçu auparavant mais leur identité était inconnu de presque tous. Alors à moins de se méfier du moindre blond de deux mètres que l'on croisât, on ne pouvait prédire leur mouvements. Ils s'assuraient également de ne pas utiliser d'armes à feu de sorte à ce que personne dans les étages dit "émergés de l'iceberg" ne pût se douter de ce qui se passait juste au-dessus d'eux. Puis ils ressortaient aussi facilement qu'ils étaient entrés, par la porte principale, après que Soïli s'eût lavé les mains et qu'Isaiah eût rectifié tout ce qui trahissait ses actes.

HédonismeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant