Chapitre 48 : Héro pour l'autre, bourreau pour soi

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   Soïli pensait que la réunion se terminerait là, après qu'on lui eût exposé les enjeux de sa décision, de la même façon qu'avait procédé Aron après qu'il eût signé le contrat. Cependant, un autre dossier fut distribué à chacun et, cette fois-ci, se fut Stuart Sinclair qui prit la parole.

   — Comme vous le savez tous, commença-t-il en se levant afin d'accaparer l'attention, avant-hier, les Sinclair ont réussi à mettre la main sur plusieurs preuves des détournements de fonds et blanchissements d'argent des Kovaleski, entre 1971 et 1984. Or, bien qu'il ne s'agisse pas là des documents officiels, ils restent tout de même l'ébauche originelle de plans compromettants.

Évidemment, Soïli prit un temps à comprendre de quoi on parlait réellement, se demandant même s'ils n'avaient pas oublié de le faire sortir de la salle. Puis il se souvint qu'il avait plus à perdre en révélant ce qu'il allait entendre et que, de toutes façons, il devrait exécuter le moindre ordre des Kovaleski avant de pouvoir ne serait-ce que songer à les éliminer. Cependant, bien qu'il sût que Stuart avait été plus ou moins renié par son père, c'était une autre chose que de le voir agir en informateur de la famille contre qui la sienne semblait être en guerre.

   — Qu'est-ce que tu proposes alors ? s'impatienta Isaiah d'une voix plus irrité que neutre.

   — Que tout le monde se mobilise pour les récupérer.

Un court soupir offensé trahit l'incrédulité du cadet.

   — Tout le monde ? Alors que seul Isaac a échoué ?

Un lourd silence surplomba la salle tandis que Soïli ne put retenir ses yeux de chercher ceux de son parrain. Bien sûr, il n'y trouva rien d'autre que de la froideur pas tout à fait snob ni désintéressée. Jamais il n'aurait pensé entendre un tel verbe le qualifier. "Échouer", cela semblait impossible lorsque l'on connaissait Isaac. Non, Günther Sondheim. L'égorgeur, le Champion de Wilson. Ces titres qui ne pouvaient pas même enfermer, à eux tous, l'étendu de la puissance de cet homme.

Alors Soïli voulut en rire, penser à une plaisanterie. Mais dans son esprit ressurgirent les images de ce même homme, deux jours auparavant, évanoui dans son propre sang, le visage transpirant et le corps brûlant. Et tout fit sens. L'échec d'Isaac ne pouvait être que cela.

   — Il s'agira là de la première mission de Soïli, intervint Gabriel, et puisque tu es chargé de le former, ta présence est nécessaire.

Les lèvres crispées, Isaiah ne répondit rien mais le regard qu'il lança au garçon en dit bien assez long sur les sentiments qui l'animaient.
La discussion se poursuivit ainsi, évoluant dans le déroulé du rôle de chacun et des postes de chacun, sans que l'on ne solicita jamais ni l'avis ni l'accord du garçon. Lui, écoutait d'une oreille attentive avec quelle légèreté on traitait de sujets tels que la mort, la drogue et l'argent sale, sans réellement se soucier d'employer d'autre mots plus doux et subtiles. Même lorsque quelqu'un employait le terme "éliminer", un autre l'éclairicissait en approuvant puis en le remplaçant par "tuer".

D'abord Soïli pensa qu'il s'agissait là d'un procédé bien peu discret, qui ne prenait pas en compte la possibilité qu'il se trouvât une taupe ou bien des microphones dissimulés. Puis il réalisa que, avant de se rapprocher plus étroitement de Günther, il n'avait jamais entendu parler des Kovaleski. Pas même une rumeur au sein des combattants qui pourtant travaillaient pour eux sans le savoir. Et ainsi il comprit que leur façon de s'exprimer si passivement n'était en fait que le reflet de l'art de leur précaution.

   — Touche-le, sonna pour la toute première fois la voix neutre d'Isaac.

L'attention ne se concentra pourtant pas que sur lui mais se partagea également entre son protégé et Dimitri. Ce fut seulement là que le garçon réalisa que l'aîné s'était approché de lui et tenait sa main en lévitation, à quelques centimètres de son visage. Alors qu'un léger malaise l'enveloppait, Soïli n'eût d'autres choix que de l'observer.
Il ne possédait pas de caractéristiques bien plus différentes que les deux autres frères avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds, quoique plus ternis. Pourtant, son expression enfermait une certaine espièglerie que l'on retrouve chez les enfants ou les fous. Il se tenait d'une façon un peu courbée, ajoutant à son physique plutôt mince, une allure particulièrement dérangeante.

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