Hédonisme

Chapitre 39 : Un manque destructeur

   Assis dans la baignoire, immergé dans l'eau à présent tiédie qui adoucissait sa peau, Soïli ouvrait et fermait un canif aiguisé d'un air absent. Le son aigu et métallique de la lame qui jaillissait du manche lorsqu'il pressait un endroit précis, puis celui râpant qui crissait lorsqu'il pliait le couteau en deux, étaient les seuls réels bruits qui flottaient dans la pièce.

La première semaine qui avait succédé à l'absence de Günther était apparu comme une véritable de torture pour le garçon. Tous les soirs, sans exception, il avait attendu, s'était pressé de rentrer le plus tôt possible, ou bien n'était pas sorti du tout, étant trop anxieux à l'idée de manquer son arrivé. Il n'était même plus parvenu à lire, ou à étudier, fixant la porte, le plafond ou la rue depuis le balcon en se dévorant la lèvre d'impatience. Il s'était, bien entendu rendu dans une salle de concert pour réclamer Shun mais, dès l'instant où il avait sû qu'il ne se trouvait pas parmi les musiciens, il était reparti malgré l'insistance de Stuart.

La deuxième semaine, il s'était mis dans l'idée de faire passer le temps comme il pouvait, en encombrant ses journées d'obligations inutiles comme courir dans le parc le plus proche, celui le plus éloigné, dépenser dans des vêtements qu'il rêvait de porter depuis longtemps mais qui, à présent, ne représentaient plus rien pour lui ou bien juste traîner dans la rue sans but précis. Il espérait ouvrir la porte de l'appartement un jour et voir Sondheim là, à l'attendre depuis quelques minutes seulement. Ce vendredi là, il était resté plus longtemps dans la boîte, à boire en écoutant un petit groupe de jeunes femmes le taquiner gentiment.

Ce ne fut qu'à la troisième semaine qu'il se refusa catégoriquement l'idée d'appeler le sénior. Alors, pour être sûr de ne pas céder à la tentation, il avait brûlé le papier dans le lavabo de la cuisine jusqu'à ce qu'il fût réduit en cendre, avant de se rendre finalement compte qu'il le connaissait en fait par cœur depuis plusieurs jour déjà. Et c'est lorsqu'il décida de prendre un bain avant de sortir pour rejoindre Stuart pour une autre expédition, qu'il s'était surpris à tenir un canif dans ses mains.

Ainsi, depuis près d'une heure, il le faisait raisonner en se demandant s'il voulait réellement l'utiliser. Mais la vérité était qu'il ne supportait plus le silence qui dévorait l'appartement. Il détestait cette atmosphère froide, vide et impassible qui flottait dans l'air. Elle lui donnait l'impression d'être aussi protégé du monde extérieur que d'en être isolé. Comme si une force inconnue le retenait ici, sans qu'il ne pût rien faire d'autre que retourner entre ces murs même lorsque son corps entier lui hurlait de fuir autre part.

Étouffé par tant de nouveaux sentiments, abandonné dans ce monde où tous semblaient avoir quelque chose à faire sauf lui, Soïli se sentait perdu.

***

   — Je peux venir chez toi ce soir ? demanda-t-il sans même poser les yeux sur Stuart.

Ils s'étaient installé dans un salon privé d'une nouvelle salle depuis plusieurs heures déjà, Gessner occupé à se saouler plus qu'autrechose et Sinclair s'amusant à discuter avec quelques unes de ses connaissances. Ce dernier rit bruyamment de la question de son cadet.

    — La dernière fois encore tu m'ignorais pour te précipiter chez toi, et à présent tu me fais du rentre dedans ?

Le visage lasse et brûlant d'ivresse, Soïli ne prit même pas la peine de hausser les épaules. Il tentait de se rappeler les quelques fois où il avait essayé de séduire une personne afin de juger de l'efficacité de sa technique du jour ; sauf qu'il se rendit très vite compte qu'il ne l'avait jamais réellement fait. Bien sûr, il y avait eu quelques épisodes où, dans une soirée ou un autre événement social, Shun l'avait poussé à parler à des filles afin de l'initier à de nouvelles choses.