Chapitre 45 : Affection en croix de contrôle

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   Le jour suivant, ou plutôt plusieurs heures plus tard, Soïli se rendit chez Shun selon leur plan de la veille.

Son appartement était bien plus spacieux et mieux situé que le précédent, possédant même un balcon assez large pour y installer deux chaises longues et une table basse. Cependant, étant donné qu'il le partageait avec les membres de son groupe, en fin de compte, son espace personnel n'était pas si différent de l'ancien. En ce sens, Soïli fut accueillit très rapidement dans le salon où les deux amis s'amusèrent avec une nouvelle console de jeux, jusqu'à ce que le bassiste du groupe, Kyota, n'interrompit leur entrain.

Ils se réfugièrent donc dans la chambre de Shun où ils burent quelques bières en discutant sans réel sujet, riant aux éclats presque toutes les deux minutes à la suite d'une maladresse de l'un ou de l'autre. La journée se passa ainsi, sans que rien de plus pertinent ne la perturba, avant que Soïli ne dut rentrer pour laisser le groupe répéter sans distraction exterieur. Il ne s'était pas vraiment lié d'amitié avec les autres membres, n'en trouvant pas l'intérêt, mais ils semblaient tous le connaître par les descriptions que Shun avait apparemment faites de lui, alors il s'y sentait assez confortable.

   Parfois, ce sont les moments les plus calmes de l'existence qui deviennent purs bonheur. Des moments qui n'ont rien de si spécials, qui sont plutôt ennuyeux même et que l'on ne remarque que très rarement. Avoir le luxe de ne rien faire de ses journées, discuter de tout et de rien dans un endroit un peu miteux, ou juste organiser un prochain rendez-vous qui serait, on le sait pourtant, pas tellement plus divertissant que le premier. Des toutes petites choses sur lesquelles Soïli s'était rabattu lorsqu'il avait besoin de s'accrocher le temps de retrouver Shun.

Alors il aurait été tout à fait rationnel que lui qui avait vu le réel intérêt derrière ces instants de joie totale, sût les reconnaître et cesser de n'y voir là que le début d'un nouveau quotidien. Ainsi, il aurait pu les chérir avec plus de vigueur encore et en profiter de tout son être. Mais comment aurait-il pu savoir, à peine deux jours après avoir retrouvé Shun, qu'il venait en fait de vivre le dernier moment le plus heureux de son adolescence ?

Les choses s'envenimèrent à l'instant où la Chevrolet d'Isaiah s'arrêta juste devant lui, à quelques mètres de l'appartement de Sondheim. Le conducteur se pencha pour ouvrir la portière côté passager et lui ordonna :

   — Monte.

Habituez un enfant à exécuter le moindre impératif d'un adulte et vous ferez de lui l'être le plus manipulable qu'il pût exister. Soïli prit place sur le siège.

   — Qu'est-ce que...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'Isaiah plaquait déjà sa main sur ses lèvres, le pressant fermement contre la portière à présent close de la voiture. Le garçon l'avait vu venir mais sa curiosité avait été supérieure à son instinct de protection. L'homme s'approcha de sorte à ce que son murmur glacial et dur pût être entendu parfaitement.

   — Isaac a mis ma radio sur écoute. S'il t'entend, je suis mort alors fais un seul bruit et je m'arrange pour que tu le sois avant moi. Acquiesce si tu as compris.

Soïli hocha la tête.

   — À présent, je vais retourner à ma place, prononcer trois endroits et tu vas bouger si, et seulement si, j'évoque celui où tu n'es pas allé avec ce taré d'égorgeur.

Puis il saisit la ceinture passager, et la boucla près de la cuisse du garçon pendant qu'il reculait. Il démarra ensuite la voiture tandis que Gessner resta figé, des centaines de questions fusant dans sa tête sans qu'une seule ne put se former assez clairement pour qu'il pût réfléchir au sens de la situation.

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