Point de vue : Alana
Avec un long soupir, j'essaie d'étirer mes jambes comme je peux malgré le siège devant moi. Ça fait trois heures qu'on roule et j'en ai marre. Marre de la voiture, des trajets sans fin. Marre d'établir des plans à tout va. Marre de tout ça.
Mais cette fois, je sais que c'est la dernière fois qu'on prend la route. La dernière avant la confrontation. Quand j'y repense, j'ai l'impression que ce jour devant le tribunal était à la fois hier, et à la fois il y a des années. Une éternité s'est passée depuis que j'ai vu Dani prendre ma petite fille dans sa voiture et l'emmener loin de moi. Une éternité de douleur, de néant, de pleurs, de migraines et de questions. Comment vais-je la retrouver ? Quelle va être sa réaction ? Va-t-elle m'en vouloir ?
D'après l'appel qu'on a eu la dernière fois... Je ne vous aime plus... J'entends encore sa voix quand elle pleurait et criait à cause de sa solitude. Je chasse ses souvenirs en me concentrant sur le principal : elle n'avait pas l'air d'être captive. Je l'entends de façon où elle ne semblait ni enchaînée, ni affamée, ni maltraitée. Ça me rassure car le traumatisme sera peut-être plus facile à gérer que si elle avait subi des atrocités. Mon enfant.
Dans au moins dix heures de route, je retrouverai mon enfant. J'appréhende énormément nos retrouvailles car je ne sais pas dans quelle situation elles se feront. La seule chose dont je suis sûre, c'est qu'ils ne vont pas nous accueillir les bras ouverts. On va devoir pénétrer dans le bunker puis dans la maison sans se faire attraper, et auquel cas on va devoir se battre voire... voire tuer.
C'est évidemment une chose que je suis prête à faire pour récupérer ma fille. Mais entre le penser et le faire, il y a un énorme fossé.
On est parti du chalet une heure après l'appel d'Adrian concernant sa mère. Entretemps, on a préparé un plan. Enfin, que dis-je, un brouillon. L'idée est d'entrer dans le domaine de William et d'aller directement au bunker. Comme on sait que sa mère y est retenue, le bunker sera plus facile d'accès que la maison. Et Cléa est peut-être dans ce même bunker.
Ensuite, nous nous débarrassons des hommes de main avant de libérer Grace et Cléa. Nous avons pensé à la possibilité qu'elles ne soient pas retenues au même endroit. Dans ce cas, nous réfléchirons à la meilleure diversion pour s'infiltrer dans la maison et aller chercher ma fille. Tout cela devra se faire un soir, c'est plus facile d'entrer par effraction la nuit, lorsque nous devenons invisibles. Et Emilio va couper l'électricité sur la propriété. Nous aurons l'espace de quelques secondes, ou minutes, pour s'infiltrer sans déclencher l'alarme.
Nous nous séparerons sûrement. Certains iront au bunker et les autres dans la maison.
En attendant, c'est le meilleur plan qu'on ait pu établir sans avoir tous les détails sur Grace et Cléa, alors nous nous débrouillerons ainsi. Heureusement, John avait des armes dans son chalet. Emilio a pris une arme lourde, une mitraillette qu'il semble connaître comme sa poche, et un glock. Adrian a deux glocks. John en a un et moi aussi. Et chacun d'entre nous possède deux couteaux à sortir en cas de corps à corps.
Moi qui n'ai jamais violenté une personne de ma vie, je vais être servie. Je sais me servir d'une arme car je m'étais déjà entraînée une ou deux fois en stand de tir. Mais entre une cible matérielle et un être humain, le doigt sur la queue de détente n'est pas pareil. J'ai peur de ne pas réussir à me battre, à aller jusqu'au bout. Pourtant, je sais que ma fille est ma poudre de canon. Grâce à sa pensée, je pourrais tout faire. Quitte à bafouer mes valeurs et ma morale.
–
Durant ces heures qui défilent et la route interminable, je me sens étrangement plus calme. Ma migraine est toujours présente mais légèrement atténuée. Mon cœur est moins serré, le trou s'étant refermé un petit peu. Quand je regarde le paysage passé à toute vitesse, je ne me sens ni triste, ni en colère, ni angoissée. Je suis comme un néant d'émotions.
Est-ce de l'espoir ? Au fond de moi, c'est l'espoir qui renaît. Dans moins de deux jours, j'aurais récupéré ma fille, elle sera dans mes bras, loin de tout cet enfer.
Je ne suis pas idiote, je sais que la route est longue, dans un sens propre comme figuré. Récupérer ma fille ne sera pas une partie de plaisir. Je ne suis même pas sûre d'y arriver sans dégâts. Pourtant, l'espoir est un concept que je n'avais pas ressenti depuis très, très longtemps. Depuis que j'ai compris qu'on me l'a enlevé.
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Sept heures de route. Encore trois heures avant d'arriver à destination.
Les visages des hommes sont fermés, je n'y décèle que peu d'émotions hormis celle qui nous consume tous : la fatigué. Nous sommes exténués, par la route, les cerveaux qui fusent pour trouver des solutions, l'angoisse qui nous oppresse chaque minute de la journée.
Adrian conduit, se relayant de temps à autre avec Emilio. John est derrière moi, il s'est assoupi depuis peu, je ne suis pas sûre qu'il dorme vraiment. Il semble accablé de chagrin, de regret, d'emprisonnement. Quand je suis allée voir Adrian en prison, il avait certes les menottes et l'habit orange. Mais son visage à ce moment n'est en rien comparable avec celui de John. Ce dernier n'a pas les accessoires du prisonnier mais il a le regard. Ce visage terni et ces épaules affaissées par le poids du pouvoir sur lui. Il est prisonnier du pouvoir de William.
Malgré la colère que je ressens envers ce qu'il a fait à Cléa, je ne peux pas m'empêcher de compatir. Il a subi le pouvoir d'un autre homme sur lui, d'un monstre qui lui a fait du chantage sur sa femme.
Il est prisonnier de ses actes, de ses pensées et de William. La question est de savoir s'il réussira à enlever ses menottes.
Mon regard dévie vers Emilio. Il a dormi l'équivalent d'une heure sur tout le trajet depuis le chalet. Il est fatigué, ça se voit et pourtant, il a l'air prêt à en découdre à n'importe quel moment. Cet homme me fascine autant qu'il m'intrigue. Adrian, malgré ses secrets, était cernable. Une telle arrogance ne peut cacher qu'une souffrance et un manque de confiance, sauf s'il s'agit d'un véritable connard. Concernant Emilio, il est l'inverse. Il est la gentillesse, la bonté, la bienveillance et la sagesse incarnées. Néanmoins, on pressent un énorme trou derrière. Je n'arrive pas à deviner son passé, ses souffrances, ses motivations.
Et Adrian.
Son visage est fermé, son regard concentré sur la route. Ses yeux sont sombres mais je vois encore la cassure dû à l'enlèvement de sa mère. C'est ce qu'il l'a achevé. Je me suis réveillée dans la chambre et la première chose que j'ai entendu, c'est son cri et ses sanglots. Je n'ai pas compris de suite jusqu'à ce que j'entende la conversation entre Emilio et l'homme du téléphone.
Grace... Elle a déjà subi tellement d'horreurs.
Et Adrian. Cet enfant meurtri par les violences de son père, il avait réussi à sauver sa maman. Je m'inquiète énormément pour lui. Malgré les apparences, il souffre beaucoup.
Adrian doit capter mon attention car ses yeux croisent les miens dans le rétroviseur. Immédiatement, ses yeux deviennent légèrement plus lumineux et il m'adresse un petit sourire. Comme par automatisme, mes lèvres se retroussent.
Que ne donnerai-je pas pour qu'il me prenne dans ses bras.
Pour compenser ce manque physique, je tends mon bras pour poser ma main sur son épaule. Je cale ma joue contre mon bras et laisse mes doigts posés sur sa veste. Ce contact m'envoie tout le soutien dont j'ai besoin pour affronter la suite, et j'ai l'impression que ça marche pour lui aussi.
On va le faire ensemble, mon cœur. On va récupérer les personnes qu'on aime et s'en aller.
Ensemble.
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LAWYER
RomanceAlana est une avocate, jeune mère célibataire d'une petite fille de trois ans. Adrian est un ancien PDG d'une grande entreprise de marketing, issu d'une famille riche et très connue, accusé de braquage à main armée dans une banque de Chicago. Il e...