Chapitre 47

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Point de vue : Alana

La cage thoracique douloureuse, je suffoque dans cette salle trop petite, trop blanche et trop bondée. Je me sens horriblement comprimée. La douleur est indéchiffrable, comme si on me déchirait de l'intérieur. Cela dit, c'est un peu le cas.

J'ai soif à force de pleurer, ma gorge brûle à force de hurler. Les personnes autour de moi s'affairent à préparer au mieux ce qui va arriver dans quelques instants - je l'espère. Car ça fait déjà des heures que ça dure. Que je souffre. Qu'on me fait attendre car il n'y a rien d'autre à faire que la patience dans mon cas. Que je transpire à grosses gouttes. Que je crie, je pleure. Que j'envoie balader les autres.

Pardonnez-moi. Mais quand on vit ce que je vis, on n'a aucune envie d'être gentille alors qu'une chose nous déchiquette l'intérieur.

C'est pour cette raison que j'ai tant redouté cet instant, autant que je l'ai attendu avec impatience. C'est le plus beau jour de ma vie. Même s'il faut que je souffre et que j'insulte la terre entière pour cela. Mais elle va finir par arriver, et je pourrais enfin la prendre dans mes bras.

Malheureusement, l'absence d'un homme dans ma vie, d'un proche ou de ma famille me fait plus de mal que je ne voudrais l'admettre.

La sage-femme vérifie à nouveau l'ouverture de mon col et s'adresse à ses collègues sans que je n'entende ses mots, trop occupée à contrôler ma respiration et les battements de mon cœur. On m'a proposé la péridurale et j'ai refusé. Pourquoi ? Je voulais sentir la douleur. Pas dans un sens sadique ou pour me faire du mal, mais plutôt pour que l'effort et la douleur soient récompensés à la douceur qui surplombe la douleur, à la chose qui soignera tous mes maux : mon enfant.

Une infirmière tapote délicatement mon front avec une serviette. Mon regard tombe brièvement dans le sien et j'y lis de la compassion. En effet, j'accouche seule. Personne n'est à mes côtés pour ce jour important. Personne ne tient assez à moi, et à ma fille, pour venir me soutenir. C'est probablement ce qui redouble ma douleur au niveau de la poitrine. Je me sens si comprimée... De nature très indépendante, je n'ai jamais eu ce besoin crucial d'être constamment entourée. Lorsque j'ai compris que je n'étais pas une enfant modèle et que je n'obtiendrais pas l'attention que mes parents donnent à mon frère aîné, je me suis renforcée d'une carapace de solitude. Elle ne m'a jamais dérangé jusqu'à maintenant... Car désormais, d'ici quelques minutes, ou quelques heures, je ne serai plus seule.

Un petit être va compter sur moi. J'en serai responsable et il ne dépendra que de moi pour lui procurer du bonheur et une famille. Une famille. Nous pouvons former une famille de deux personnes, non ? Le doute m'assaille en plein accouchement... Comment ai-je pu penser que je réussirai seule ? Ma fille va grandir seule, sans père, sans grands-parents, sans autre famille que moi. Et si je n'étais pas à la hauteur ? Et si je la décevais ?

Les larmes redoublent d'intensité alors que je crie mon désespoir et ma douleur - physique et mentale - devant les sages-femmes. Le doute doit se lire dans mon regard car une d'elle vient se poster à mes côtés et me prend la main, l'enfermant entre les siennes. D'un regard, elle me transmet toute sa force et hoche la tête lorsqu'elle aperçoit ma détermination.

— On va y arriver. Vous allez y arriver, Alana. Donnez tout ce que vous avez. Poussez. Vous êtes une femme forte qui donne naissance à une véritable petite guerrière. Poussez. Poussez avec toute votre force.

Puisant dans la force de sa voix et dans son regard déterminé, ma main serre la sienne avant que je ne pousse en criant à plein poumon.

Un quart d'heure plus tard, mon bébé est entre dans les bras de la sage-femme. Le silence est enfin revenu. Je suis affalée sur le brancard, l'esprit totalement embrouillé et les yeux embués. Des larmes de joie, des larmes de soulagement, des larmes de tristesse. Mais aussi de la fierté. J'ai réussi. J'ai donné naissance à mon bébé sans accompagnement... Je l'ai fait.

LAWYEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant