𝟔𝟎.

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Je retraçais du regard les moulures délicatement ouvragées du plafond, me remémorant les paroles du mercenaire.

« Vous n'êtes pas seule. »

Je l'étais.

Dans chacune de mes précédentes morts, quelle qu'elle fût, je terminais mon existence dans le plus absolu isolement, entourée seulement de bras frigides, maussades et affligeants: ceux de la solitude, ou bien de la dépression, ou même les deux. L'heure où l'on me tournerait le dos n'avait même pas encore sonné que je sentais déjà leurs griffes invisibles alourdir mes épaules, un sentiment de misère comparable à celui d'antan m'envahissant à nouveau.

Je n'ai pas changé.

Malgré mes initiatives et mes résolutions ferventes, je ne faisais que subsister. Mon apparence pouvait certes sembler vivante, mais il n'en était rien. Au plus profond de ce gouffre béant qui avait supplanté ce mécanisme confus et vital qu'est le cœur, il n'y avait que le néant. Et l'histoire que j'avais provoquée la veille n'avait fait qu'accentuer ce précipice impassible. À peine avais-je entamé l'un de mes plans que je me sentais affreusement souillée, semblable à un monstre dénué de sentiment. Comme lui.

Les ragots ne sont peut-être pas si infondés qu'il n'y paraît...

Et si... j'avoue tout ? Considérai-je cette option. Et si j'avoue les abus de Cesare ? Non... Surgit en moi un souvenir de ma onzième vie. En ce temps-là, j'avais confessé les agressions de Cesare, ainsi que les meurtres qu'il m'avait contrainte de commettre, dans une lettre déposée dans un bureau de presse, afin d'en faire un scandale et de faire triompher la vérité. Le soir même, j'avais tenté de l'assassiner, mais la Garnison Royale était intervenue et m'avait empêchée d'accomplir mon dessein. Nous fûmes arrêtés ce soir-là pour être jugés au tribunal, et quelques jours plus tard, la Cour avait conclu à l'inceste et m'avait condamnée à la guillotine. Bien que le peuple et l'Impératrice elle-même eussent réclamé une sanction autre que la mort, le Vatican était intervenu pour décider de mon sort.

C'est une mauvaise idée. Conclus-je. Cette décision... Le fait que la Cour ait préféré s'allier au Vatican plutôt qu'à l'Impératrice... a dû provoquer un tumulte considérable. À cette époque, le Vatican a dû réussir à renverser l'influence impériale. C'est la seule explication plausible. Me levai-je du lit, une décision claire en tête: confesser mes tourments était impensable. Une telle révélation entraînerait des conséquences désastreuses. Que suis-je censée faire alors ? Arpentai-je la chambre, cherchant désespérément une solution. Soudain, mon regard se posa sur une lettre que je devais envoyer à mon jeune frère. Il m'avait reproché de ne jamais lui écrire. Me revint en mémoire ce souvenir. C'est le plus urgent. Pris-je une profonde inspiration, décidant de remettre à plus tard mes préoccupations concernant Cesare.

J'enfilai alors un peignoir de soie, pris ensuite la lettre, et sortis de la chambre pour me diriger vers les bâtiments des chevaliers. J'espère que c'est une bonne idée... Entrai-je dans la salle à manger des chevaliers, et constatai qu'ils étaient tous déjà réveillés, prenant leur déjeuner. À mon entrée, tous les regards se tournèrent vers moi, interrompant leur repas. Mes talons résonnèrent sur les marches de l'escalier, chaque pas accentuant le silence soudain de la pièce.

Je dois agir comme si je ne le connaissais pas.

« Je souhaite voir le chevalier Benediss. » déclarai-je d'une voix assurée.

Ce dernier se leva promptement, ses yeux trahissant une surprise respectueuse. Il s'approcha de moi et s'inclina légèrement.

« Madame, en quoi puis-je vous être utile ? » demanda-t-il avec déférence.

« Suivez-moi. » sortîmes-nous de la salle et, une fois à l'écart, je me tournai vers lui. « J'ai une mission d'une importance capitale à vous confier, Benediss. » dis-je en lui tendant l'enveloppe. « Cette lettre doit être remise en main propre à Celyan. Comprenez-vous l'importance de cette tâche ? »

Il prit la lettre avec une solennité appropriée, observant le cachet de cire avec attention.

« Oui, Madame. Je m'assurerai que cette lettre parvienne à votre frère sans délai. »

Je le regardai un moment, évaluant la loyauté et la détermination dans ses yeux.

Il n'a pas changé. Toujours aussi fidèle.

« Benediss. » ajoutai-je après un instant de silence.« Il est essentiel que cette lettre ne tombe entre aucune autre main que celle de Celyan. J'ai aussi... un mauvais pressentiment, je veux que vous amenez Elise avec vous. J'ai confiance en elle et elle saura être un soutien pour mon frère. J'ai besoin de savoir que je peux compter sur vous pour cette mission. »

Il hocha la tête, un éclat de compréhension et de promesse dans son regard.

« Vous avez ma parole, Madame. »

« Merci, Benediss. » murmurai-je en esquissant un léger rictus avant de me détourner.

Tandis que je regagnais ma chambre, je ne pouvais m'empêcher de me demander si cet acte pourrait un jour m'apporter la rédemption que je cherchais désespérément.








𝐁𝐎𝐑𝐍 𝐓𝐎 𝐃𝐈𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant