𝟔𝟔.

51 2 0
                                    




Le crépuscule enveloppait le manoir d'une lumière morose, les ombres dansant sur les murs anciens. Les lourdes portes d'entrée, ornées de ferrures en fer forgé, émirent un long grincement lugubre lorsque je les franchis, le bruit résonnant à travers le vaste hall. Callum, mon chevalier fidèle, me suivit de près, son visage pâle trahissant une nervosité qu'il peinait à dissimuler. Visiblement mal à l'aise, il se racla la gorge avant de prendre la parole:

« Bonne nuit, Madame. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis à votre disposition. Mais... tout dépend de l'heure... Je dormirais sûrement. Mais... Vous pouvez m-me réveiller ! » bafouilla-t-il, les mots se bousculant sur ses lèvres.

Je le fixai un instant, cherchant à déchiffrer l'inquiétude qui se lisait sur son visage.

« Merci, Callum. Passez une bonne nuit. » esquissai-je un mince sourire avant de lui tourner le dos et de monter lentement l'escalier menant à mes appartements.

Lorsque j'atteignis ma chambre, j'entrai dans l'obscurité qui régnait à l'intérieur, et d'un geste habile, j'allumai les bougies du chandelier, projetant une lumière vacillante qui dansait sur les murs tapissés. Je me dirigeai ensuite vers ma coiffeuse et m'assis, prenant une profonde inspiration avant de sortir mon carnet. Ouvrant l'encre et saisissant la plume, je commençai par rayer l'Empereur d'un geste ferme et inscrivis ensuite celui de l'Hassassyīn, "Eïnar", avant de le raturer à son tour.

Deux de moins. Se posèrent mes yeux sur leurs noms, ainsi que celui d'Aarden, restant un moment ainsi à les observer —réalisant qu'il ne m'en manquait plus que deux: celui du Pape VI et celui de Frolov.

Que cachent-ils ? Sont-ils de mèche ? Ou adversaires ? Dessinai-je distraitement un rond, le complétant de deux traits légèrement tournés vers le bas pour les yeux, ainsi qu'un sourire machiavélique et deux cornes.

Frolov... Son animosité envers ma famille semble personnelle, mais pourquoi ? Quelle en est l'origine ? Une vendetta familiale datant de plusieurs générations ? Cela expliquerait sa proximité avec le Duc Aarden... Leur faisant un point en commun, ou plutôt une vengeance en commun.

Ou simplement sa folie ?

« Vous êtes une abomination, une hérésie vivante. Votre présence est une tâche sur cette terre bénie. Vous apportez la ruine et la souffrance partout où vous allez. Les yeux du mal incarnés, les yeux du Diable. Vous êtes une traîtresse, un serpent dans notre sein. Vous devriez être chassée, exilée, brûlée pour vos crimes. »

La folie... ris-je amèrement. Il n'y a que cette explication: il est fou. Tout comme Cesare.

Quant au Pape VI ?

C'est un mystère total.

Cesare, avec ses ambitions démesurées et ses manœuvres politiques, cherche-t-il à s'attirer les faveurs du Vatican, ou est-il en conflit avec ? Est-il un ennemi du Pape VI ?

Je ne sais pas.

Il lui faut pourtant un allié de valeur au sein du Vatican et rien de mieux que le Pape, non ?

Tout est... si flou.

Une vague de frustration monta en moi, balayant impulsivement toutes mes affaires de la coiffeuse d'un geste brutal. Le choc fit vaciller le chandelier avant de basculer complètement, plongeant la pièce dans une obscurité partielle. Mon carnet, quant à lui, tomba avec fracas, s'ouvrant sur une page tachée de souvenirs que je n'étais pas encore prête à affronter. Et l'encrier se brisa, répandant une flaque d'encre noire.

Je respirai profondément, essayant de contenir la rage qui bouillait en moi mais mon souffle était rapide et irrégulier, comme si chaque inspiration attisait davantage le feu de ma colère.

« Que suis-je censée faire ? » murmurais-je, désespérée, mes mains tremblantes se crispant autour de rien comme si elles cherchaient un ancrage dans ce chaos intérieur.

Puis une odeur âcre s'insinua dans mes narines, un parfum de danger immédiat qui me fit frissonner. Je me baissai légèrement et mes yeux s'écarquillère aussitôt d'horreur, réalisant que le tapis prenait feu, les flammes commençant à lécher les fibres délicates.

Non... Pas encore.

Je reculai instinctivement, mon corps refusant d'obéir à une quelconque rationalité. Je tombai lourdement de ma chaise, la douleur de l'impact à peine enregistrée dans ma panique, tandis qu'une peur primale s'emparait de moi, une terreur aussi viscérale qu'incontrôlable, me traînant en arrière dans des mouvements désordonnés et paniqués. Non. Heurta mon dos le mur avec un bruit sourd, m'acculant, me piégeant ici. Je me retrouvai alors là, recroquevillée, les yeux écarquillés, fixant les flammes qui se propageaient doucement mais inexorablement. Qu'ai-je fait ? Se transforma la panqiue en terreur pure et glaçante. Non... Pas ce feu... Pas encore...

« Pas encore. Pas encore. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. » se mirent mes lèvres à murmurer frénétiquement, comme un mantra désespéré.

Les souvenirs revinrent en flots incontrôlables, des images de ce jour où tout avait été consumé par le feu. L'odeur âcre de la fumée, le rugissement des flammes, la sensation suffocante de la chaleur... Non, je ne peux pas revivre ça. Se levèrent instinctivement mes mains pour couvrir ma tête, comme pour me protéger de ces souvenirs qui menaçaient de m'engloutir.

Au milieu de cette frénésie, j'entendis vaguement le bruit d'une porte s'ouvrir et d'une cloche, leurs sonorités perçant le brouillard qui m'enveloppait. Je crus reconnaître la voix de Sophie, appelant à l'aide, mais cela semblait si irréel, si lointain, comme dans un de ces foutus cauchemars.

Non... Pas encore... Se mêlaient les sons dans un chaos indistinct —des pas précipités, des ordres criés et le crépitement des flammes. Pas encore... Se brouilla ma vision, emportée par la vague de panique. La fumée envahissait mes poumons, me brûlant la gorge, rendant chaque respiration plus laborieuse. Non... je ne veux pas mourir... Pas maintenant... Battait mon cœur si fort que j'avais l'impression qu'il allait sortir de ma cage thoracique.

Puis, soudainement, l'obscurité m'enveloppa complètement alors que je perdais connaissance.






𝐁𝐎𝐑𝐍 𝐓𝐎 𝐃𝐈𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant