➳ Chapitre 10 : Jennifer

5.9K 568 31
                                    

Je me réveille ce matin avec une seule pensée en tête : pourvu qu'aujourd'hui soit une meilleure journée qu'hier. Je me lève difficilement en soupirant. J'ai mal dormi et ça doit certainement se remarquer sur mon visage par d'énormes cernes. J'ai passé ma nuit à réfléchir à tout ce qui m'est arrivé la veille, sans réussir à trouver le sommeil jusqu'à peut-être trois ou quatre heures du matin. Là, il est déjà onze heures et je repousse le plus possible le moment où je devrai affronter le regard de Kayna.

Je finis par prendre mon courage à deux mains et sors de ma chambre, encore en pyjama. Je me décontracte un peu en voyant que celle que je redoute le plus n'est pas dans la pièce. En fait il n'y a qu'Alizée, affalée sur la table, la tête dans les bras.

- Bien dormi ? me demande-t-elle, sans se redresser.

- Mieux que toi apparemment.

Elle pousse un long soupir en hochant lentement la tête.

- Tu sais ce que c'est, quand nos souvenirs s'insinuent dans nos rêves... ou plutôt nos cauchemars.

- Ouais...

J'hésite à lui demander de me raconter son cauchemar, de peur de lui raviver de sombres souvenirs. Finalement, elle se lance d'elle-même, le regard perdu dans le vide :

- On est assis sur un canapé, dans la cave, serrés les uns contre les autres, mes parents, mes frères et moi. On est terrifié. Chaque bruit, chaque craquement provenant sûrement d'un des vieux meubles du rez-de-chaussée nous fait sursauter. (Elle marque une longue pause avant de reprendre.) Soudain, on entend une explosion venant de l'étage, la maison tremble violemment et un de mes frères s'écrit : « C'est un des murs ! Ils ont défoncé un des murs ! ». Mon père lui fait signe de se taire et le silence n'est plus perturbé que par le bruit des débris qui tombe sur le sol du salon. Plusieurs minutes s'écoulent, avant que la porte cadenassée menant à la cave n'explose à son tour.

Elle arrête de parler. Son corps est secoué de tremblements, des larmes silencieuses coulent sur ses joues. Je m'approche d'elle et pose une main réconfortante sur son bras. Elle reprend d'une voix étranglée et saccadée:

- Ma mère me serre fort contre elle, mon père s'empare d'une barre de fer qu'il garde toujours près de lui. (Elle force un rictus.). Comme s'il pouvait nous sauver avec... Il approche des premières marches. Ses yeux s'écarquillent au moment où l'un de ces monstres lui saute dessus, le plaquant au sol, avant de le relever en empoignant son tee-shirt et ses cheveux. Là, il lève un genou. Il pause le cou de mon père dessus. Il soulève son corps, toujours presque totalement à la verticale, de quelques centimètres au-dessus, comme pour viser. Puis d'un coup sec, il fracasse sa nuque dessus, sectionnant sa tête. Tout le monde hurle, il y a du sang partout. L'Haera s'occupe ensuite de ma mère, puis de mes frères. Avant qu'il n'achève le dernier, je trouve le moyen de m'enfuir en passant pourtant sous son nez. J'emprunte l'escalier menant à l'étage et me précipite dehors sans me soucier de la possibilité que d'autres m'y attendent. Je cours à travers les champs, en me demandant pourquoi il ne m'a pas tué, alors qu'il m'avait certainement vu... (Elle pousse un long soupir.) Ensuite, je me suis réveillée.

    Ses yeux sont rougis par les larmes, c'est à ce moment que je remarque que je pleure aussi. Je me penche vers elle et la sers fort dans mes bras. Je ne la relâche qu'une dizaine de minutes plus tard, lorsque je sens, à sa respiration plus régulière, qu'elle s'est un peu calmée.

- Est-ce que ça s'est... vraiment passé comme ça, le jour où...

Je ne termine pas ma phrase, n'arrivant pas à trouver mes mots. Pour la première fois depuis le début de son récit, Alizée rive son regard dans le mien. Un regard vide. Et prononce d'une voix faible et enrouée :

Aeternam GalaxiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant