Je peux apercevoir Seya dans la cellule d'en face, assise sur le sol, les genoux repliés et ses bras les entourant. De temps en temps, elle me jette un regard à travers la membrane bleue électrifiée. Je ne lis ni peur ni colère dans ses yeux. Aucune émotion. Elle doit se dire que nous allons mourir ici. Bien que notre entraînement nous permette de refuser l'idée même de mourir, lorsqu'il n'y a plus d'espoir nous sommes obligés de voir la vérité en face. Arrivés à ce stade, la mort ne nous fait plus peur. Je ne pense pas qu'elle sache ce que les nôtres infligent aux traîtres dans notre genre, sinon elle serait terrorisée malgré l'enseignement qu'elle a reçu. Qui n'aurait pas peur du Rituel de l'Expiation ?
Tout d'abord, l'accusé est enchaîné, nu, sur la place publique, à un grand poteau métallique, strié de longues rainures rouges. On lui demande de dire à haute voix ce dont il est accusé, ce qu'il a fait, et là le Rituel peut commencer. Il doit en premier assister à la mort atroce de ses proches, sans pouvoir intervenir. Puis, les rainures chauffent de plus en plus jusqu'à lui brûler la peau, laissant des marques rectilignes dans son dos. Vient ensuite le Grand Commandant de l'armée avec le couteau sacré, sortit exceptionnellement de son coffre-fort pour le Rituel. Il poignarde le traître à des endroits bien spécifiques, qui n'entraînent pas la mort immédiate.
Considérablement affaibli, l'accusé est détaché du poteau et chaque personne présente sur la place doit lui appliquer du sel sur ses blessures. Ensuite, on lui lie les poignets avec des menottes magnétiques. Le commandant le traîne dans toute la capitale, sous les propos acerbes du peuple, jusqu'à l'Arène. Dans les gradins se tiennent des milliers de personnes. On fait entrer l'accusé à l'intérieur et là, la foule surexcitée peut enfin assister à la lutte pour la survie d'une personne jugée traître à son espèce. Un erecha est lâché dans l'Arène et l'Haera doit tenter de rester en vie. Évidemment, l'animal prend vite le dessus et juste avant qu'il n'achève le traître, le Commandant le tue avec son pistolet. Là, il s'avance sous les acclamations de la foule. Il relève celui qu'il ne considère plus de son espèce en le tirant par les cheveux. Il pose sa nuque sur son genou. Il le soulève d'un coup brusque avant de le rabattre sur sa rotule, le décapitant.
Justice dure, mais juste. Pour préserver l'ordre public.
Moi, je n'ai pas peur. Enfin, pas trop. Je compte bien m'évader. Je ne doute pas de réussir à m'échapper. J'ai confiance en moi, en mon intelligence. Je me crois plus malin que les autres et je sais que c'est ce qui peu me sauver, comme me perdre. Bientôt, un garde viendra nous emmener dans une salle de torture. Je suppose que je serai le premier interroger. Ils doivent se dire qu'étant le plus âgé, je suis au courant de plus de choses. C'est au moment où l'on me sortira de ma cellule que je devrai agir.
Quelques minutes plus tard, deux gardes armés s'approchent de ma cellule. L'un appuie sur un bouton à côté de la membrane et elle disparaît instantanément. L'autre s'avance vers moi, des menottes magnétiques à la main. C'est le moment d'agir.
Je fonce sur le premier, le renversant au sol, et avant même que le second ne lâche les menottes, je m'empare de son pistolet à sa ceinture et lui tire dans la tête. Il s'effondre sur le sol, comme un être désarticulé. Pas le temps de relâcher mon attention, déjà l'autre se relève et commence à brandir son pistolet. Je tire une fraction de seconde avant lui, le tuant d'un tir dans le cœur. Cependant, mon bras droit est touché et je lâche mon arme qui tombe avec fracas sur le sol. J'agrippe mon biceps avec ma main gauche en serrant les dents, mais je me reprends très vite et ramasse le pistolet. J'appuie sur le bouton de la cellule de Seya qui s'ouvre alors, la laissant sortir. Elle se précipite sur moi et déchire un bout de son vêtement pour me faire un garrot sur le bras.
- C'est bon ça va aller, merci. Prends l'arme de celui-ci, lui ordonné-je en pointant le pistolet au sol du doigt.
Elle fait ce que je lui demande et après un rapide coup d'œil pour vérifier la présence ou non de caméras, je me baisse pour déshabiller l'un des gardes.
- Qu'est-ce que..., commence Seya avant de s'interrompre, comprenant mon intention.
J'enfile rapidement les vêtements tandis qu'elle monte la garde. Ensuite, je cache les deux corps, un dans chaque cellule, et réactive les membranes. Je lui passe les menottes et cache son arme dans son dos, sous ses habits. Nous commençons à avancer dans les couloirs sombres à la recherche des deux humains.
La sécurité est franchement à désirer : aucune caméra, pas de puce électronique implantée sous notre peau pour pouvoir nous pister, pas de capteurs de mouvement... Nous ne devons pas nous trouver dans une base importante bien que de toute façon, le nombre de matériels emporté sur Terre s'est vite montré insuffisant. Plusieurs fois, nous croisons des soldats au détour d'un couloir. Certains nous lancent des sourires, d'autres me parlent de tout et de rien. Je m'aide des regards interrogateurs pour m'orienter et éviter de me faire repérer, me basant sur le fait que s'ils nous regardent comme ça, c'est soit qu'ils ne me reconnaissent pas à première vue comme l'un de leur collègue, soit que nous n'avons rien à faire par ici.
Je me doute bien que nous allons finir par nous faire repérer, mais espérons juste qu'avant nous aurons réussi à libérer Jennifer et Tyler. Ainsi, il ne nous restera plus qu'à trouver la sortie. Enfin... La trouver sans se faire tuer. Le plus simple serait encore de les laisser là et de s'enfuir sans eux, mais je n'oublie pas qu'ils sont notre seule chance d'entrer dans le camp et puis... Je ne me sens pas de leur faire ça, surtout vis-à-vis de Jennifer. J'ai une dette envers elle.
Je sais bien que techniquement, je n'ai rien fait de mal en l'hypnotisant. On me l'avait demandé et je considérais les humains comme des êtres inférieurs. Mais désormais, ma vision des choses est en train de changer. Je la respecte. Je respecte cette fille pour ce qu'elle a essayé d'entreprendre en voulant libérer un Haera, pour la force dont elle a fait preuve et dont elle doit encore faire preuve en ce moment, malgré tout ce qu'elle a dû affronter dans sa vie.
Je suis vite ramené à la réalité lorsque enfin nous atteignons la deuxième aile de cellules. Je vérifie une fois de plus qu'il n'y a pas de caméras, puis détache Seya en lui demandant de faire le guet. Je m'avance dans le couloir. Seule une cellule est fermée alors je me dirige vers elle. Sur le sol, adossé au mur, il y a Tyler. Il tient dans ses bras Jennifer, inconsciente, du sang plein ses vêtements. D'ailleurs, il n'y a pas que du sang sur ses vêtements à elle, il y en a aussi sur ceux de Tyler et sur le sol. Un large sourire fend le visage du jeune homme lorsqu'il me voit. Il se lève en soulevant Jennifer dans ses bras, tandis que je désactive la membrane. A peine sont-ils sortis que je me précipite sur eux. En même temps d'inspecter Jennifer, je lui demande :
- C'est toi qui lui as retiré le bout de métal ?
- Oui, j'avais peur que ça s'infecte et puis elle souffrait trop, mais elle s'est évanouie pendant que je le lui enlevais. Elle ne s'est pas réveillée depuis...
Je hoche pensivement la tête. Il faut que nous partions vite d'ici afin que je puisse inspecter sa blessure de plus près.
- Donne-la moi, j'ai cent fois plus de force que toi, lui ordonné-je.
Il s'exécute immédiatement. Je n'ai pas besoin de développer, il sait très bien que mon espèce à une force musculaire bien supérieure à la sienne. Au début, je me suis quand même demandé s'il m'écouterait, car il a l'air beaucoup plus réticent que son amie à faire confiance aux Haeras. Il aurait pu s'imaginer que j'allais la tuer ou les conduire dans un piège. Je suppose que dans des situations critiques comme celle-ci, les cerveaux humains n'ont pas le temps d'évaluer toutes les possibilités. Ils choisissent alors leur meilleure chance de survie.
Nous repartons dans le sens inverse et cette fois-ci, nous ne manquons pas de nous faire rapidement repérer. Nous devons former un drôle de petit groupe : deux Haeras accompagnés de deux humains dont une évanouie. Seya et Tyler –à qui j'ai donné mon pistolet- abattent plusieurs gardes. Très vite, de plus en plus d'ennemis affluent vers nous, alertés par les cris des autres. Alors, nous commençons à courir dans les couloirs, en tentant vainement de nous repérer dans ces boyaux sombres qui n'en finissent plus.
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Aeternam Galaxia
Science FictionLa Terre. Planète dominée par l'espèce humaine depuis des milliers d'années. Mais ceci est en train de changer... En 2029, la Terre est bien différente de celle que nous avons pu connaître par le passé. Extraterrestres et humains se combattent sans...