- Je vais vous raconter quelque chose qui m'est arrivé au début de cette guerre.
Mis à part trois soldats qui montent la garde, tout le monde est installé autour de la grande table, près des dortoirs. Le soleil est déjà en train de se coucher derrière les montagnes entourant la vallée, et une brise légère souffle sur l'assemblée. En attendant que le repas soit servi, l'un des soldats s'est mis en tête de nous raconter un évènement qui l'a marqué, depuis le début de l'invasion de la Terre.
- C'était environ un mois après notre première descente sur cette planète. J'avais été assigné à la division de nettoyage, je devais m'occuper de tuer tous les humains que je voyais dans un rayon de mille exo-pas* autour des grandes villes.
Il parle presque en chuchotant, se penchant légèrement sur la table, comme si ce qu'il disait ne devait pas arriver aux oreilles de n'importe qui.
- Bref, j'arrive donc dans un petit village. La plupart des habitants étaient soit barricadé chez eux, soit réfugié dans la forêt. (Un rire sec sort de sa bouche.) Comme si les arbres pouvaient les protéger !
Quelques ricanements s'élèvent de son auditoire. Il attend que les rires se taisent pour poursuivre.
- Au loin, je vois alors un bâtiment qui se différencie des autres par sa hauteur et surtout par une sorte de colonne pointue qui se dresse au-dessus des maisons. Je dis à mon équipe d'intervention au sol que je vais aller voir par là-bas. A ce moment-là, j'étais plus curieux qu'autre chose.
Sur la table, il dessine alors l'édifice qu'il a vu à l'aide de son couteau. Effectivement, une grande tour surplombe un bâtiment imposant percé de grandes fenêtres sur ses côtés.
- Ah, je sais ce que c'est ! Il vénère leur Dieu là-dedans ! s'exclame un homme.
- La ferme, j'allais y venir ! bougonne l'autre en le fusillant du regard. Donc, je rentre à l'intérieur. Les vitres étaient magnifiques, elles étaient très colorées et des personnages étaient peints dessus. On aurait dit qu'elles racontaient une histoire. En plus, la lumière du jour qui frappait dessus projetait de magnifiques teintes sur les murs blancs.
Certaines personnes soupirent, visiblement peu intéressées par la description des lieux, contrairement à moi. J'ai toujours soutenu -et je sais que je suis loin d'être le seul- que les humains étaient de bien meilleurs artistes que nous, toutes disciplines confondues.
- Il y avait aussi des bancs en bois un peu partout, et devant eux, une sorte d'autel.
Il marque une pause et en profite pour regarder tour à tour chaque personne de son auditoire, comme pour vérifier qu'ils n'en avaient perdu aucun.
- Ça faisait un moment que j'admirais la beauté des lieux, jusqu'à même en oublier ma mission. Puis, j'entendis du bruit provenant du fond, derrière l'autel. Je m'approchai, lentement, l'arme au poing, et là, je la vis...
Tout le monde semble retenir son souffle. Désormais, nous sommes tous avachis sur la table, tordus dans de drôles de positions pour nous rapprocher de notre narrateur.
- C'était une femme, elle était plutôt jeune et elle tenait quelque chose qu'elle serrait fort dans ses mains. Elle était à genoux devant un homme crucifié et semblait l'implorer de lui venir en aide, en murmurant des mots que je ne comprenais pas.
Je suis surpris d'entendre le ton de sa voix changer. Depuis le début de son récit, il nous racontait son histoire comme il aurait raconté une vieille légende à un gamin, mais désormais, une certaine émotion transparaît dans ses mots.
- A mon approche, elle lève légèrement la tête et nos regards se croisent une fraction de seconde, puis elle détourne les yeux et recommence à prier, de plus en plus vite. On aurait presque dit qu'elle rentrait en transe... Des larmes coulaient silencieusement sur ses joues, et à ce moment-là, ouais, je l'avoue, j'ai ressenti de la pitié pour elle.
Il fait une nouvelle pause, les yeux perdus dans le vague, la scène se déroulant certainement de nouveau dans sa tête.
- Et ensuite, qu'est-ce que tu as fait ? s'impatiente une scientifique en bout de table.
Il hausse nonchalamment les épaules.
- Je l'ai tué, je lui explosé le crâne avec un tire plasma.
Le regret se lit autant sur ses traits qu'il s'entend dans sa voix.
- Si je vous raconte tout ça, ce n'est pas pour rien. A cause de cette putain de guerre, je n'arriverais jamais à retrouver une certaine sérénité, je serais toujours hanté par le souvenir de tout ce que j'ai pu faire. Tout comme nos ancêtres l'ont surement été après la guerre contre les Tolkems. Et je pense sincèrement que nous sommes dans la mauvaise voie.
Il a du courage pour dire ça à haute voix. Si quelqu'un répète ses propos au chef Jeo, il risque de gros ennuis. Et encore plus s'ils remontent jusqu'au Gouvernement. Apparemment, je ne suis d'ailleurs pas le seul à penser à ça. Les personnes assises autour de la table s'échangent des regards inquiets, et rapidement, un silence pesant s'installe. Pourtant, je trouve ses paroles très justes. Nous sommes dans la mauvaise voie depuis le début.
Le soldat étant de corvée de cuisine s'écrie alors que le repas est près. Aussitôt, tout le monde se lève d'un bond, pressé d'échapper à la mauvaise ambiance.Nous nous dirigeons tous vers la cuisine. Je prends une assiette dans la pile posée sur la table et la tends au soldat-cuistot. Je suis plutôt content de retrouver la même chose que ce midi -de la viande de dorwe- dans mon assiette.
Nous retournons à table. Karani s'assoit à ma droite, Seya à ma gauche, et nous commençons à entamer notre repas. La gêne de tout à l'heure a disparu et des conversations beaucoup plus légères fusent tout autour de nous. La soirée s'écoule doucement. Bercé par les voix qui m'entourent, je sens que je commence à fatiguer. Karani le remarque et me fait signe de la suivre. Seya se lève aussi et nous rejoignons ensemble les dortoirs.
- Prenez les deux lits du fond, nous dit la jeune femme. Ils sont moins confortables que des lits haeras, mais vous au moins vous ne passerez qu'une nuit dessus.
Je la remercie d'un sourire. Elle quitte la pièce en nous expliquant qu'elle doit enregistrer un rapport sur ce qu'elle a fait aujourd'hui, et qu'elle nous rejoindra ensuite. Je m'allonge sur mon lit après avoir ôté mes chaussures. Au lieu de rejoindre le sien, Seya s'assoit sur le mien. Je sais qu'elle veut paraître plus forte qu'elle ne l'est réellement, alors que ce n'est qu'une gamine. Et même si elle reste silencieuse, je devine son angoisse qu'elle tente de masquer du mieux qu'elle peut. Je me redresse et la prends dans mes bras, elle appuie sa tête contre mon torse et soupire.
- J'ai peur, me chuchote-t-elle.
- Je sais, mais cette nuit, tout sera finis.
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En plus d'être plus court que les autres, ce chapitre a du retard, sorry ^^'. J'espère quand même qu'il vous aura plus !
*exo-pas = unité de mesure des distances pour les Haeras. 1 expo-pas est à peu près l'équivalent de o,5 kilomètre (donc 500 mètres).
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Aeternam Galaxia
Science FictionLa Terre. Planète dominée par l'espèce humaine depuis des milliers d'années. Mais ceci est en train de changer... En 2029, la Terre est bien différente de celle que nous avons pu connaître par le passé. Extraterrestres et humains se combattent sans...