➳ Chapitre 54 : Jennifer

2.3K 257 15
                                    

Mon père était le genre d'homme qui regardait les chaînes de nature et sciences tous les dimanches après midi. Il aimait pêcher, raconter des histoires à dormir debout, faire un footing une fois de temps en temps. Il était habité par un calme serein et communicatif. C'est ce qui a plu tout de suite à ma mère, m'a-t-elle confié un jour. Contrairement à lui, elle ne tenait jamais en place, devait toujours faire quelque chose. C'était un miracle lorsque l'on réussissait à la traîner dans une salle de cinéma, et encore, elle nous le reprochait ensuite pendant une semaine, prétextant que ce temps perdu aurait pu servir à autre chose. Mes parents étaient donc bien assortis. Mon père apaisait ma mère et elle l'empêchait de vivre en ermite.

Les disputes entre eux n'étaient pas spécialement rares, mais loin d'être fréquentes. Ils se disputaient souvent pour des broutilles, concernant la plupart du temps les tâches ménagères ou l'organisation des week-ends. Mais ces querelles paraissaient davantage des moyens de divertissement dans un couple qui ne fonctionnait que trop bien que de réels litiges plus profonds.

Mon frère et moi trouvions bien notre place dans cette famille. Nous avions assez d'années d'écart pour qu'aucun de nous ne se sentent dévalorisés par rapport à l'autre. J'étais l'aînée, je le protégeais, il était le benjamin, me prenait en exemple. Le calme de mon père a déteint sur lui, tandis que moi ai hérité d'une grande partie de la force de caractère -conduisant bien souvent à des excès de colère- de ma mère. Souvent d'ailleurs, ce caractère impulsif a été la principale source de problèmes entre ma mère et moi durant mon passage de l'enfance à l'adolescence. Nous étions trop identiques.

Pourtant, ceci mit à part, notre famille fonctionnait particulièrement bien, et c'est ça qui nous a permis de survivre aussi longtemps tous ensemble. Dès le début de la guerre, là où certains ont découvert les failles de leurs liens familiaux, les nôtres se sont raffermis et concrétisés. Mon père, à force de suivre des émissions de survie, s'avéra un véritable Mike Horn -quoiqu'en moins musclé tout de même. Ma mère assura la cohésion de notre groupe en menant ses troupes telle Jeanne d'Arc -les hallucinations en moins. Quant à moi, je m'assurais personnellement de la sécurité du plus jeune d'entre nous, Zacarie.

Nous aurions pu vivre ainsi pendant des années. Bien que nous ayons perdu beaucoup dans toute cette histoire, nous étions au moins toujours ensemble, nous assumions le poids écrasant de cette vie injuste main dans la main. Du moins jusqu'à ce que tout vole en éclats en l'espace d'une journée. Comme mes parents m'étaient du temps à revenir, j'étais moi-même partie à leur recherche. Au fond, je savais déjà ce qui était arrivé, mais je n'étais pas préparée à découvrir ces deux êtres tant aimés vulgairement décapités au milieu d'un couloir dont le sol, les murs et le plafond étaient recouverts de sang. J'avais vomi sur mes chaussures avant même que les premières larmes ne commencent à perler au coin de mes yeux. Ces derniers d'ailleurs n'arrivaient pas à se détacher du visage de ma mère, de cette bouche tordue en une expression d'extrême terreur. Vue comme ça, je me serais presque attendue à la voir crier, mais son regard vide ne traduisait lui que trop bien l'absence de vie de cette tête. Ma mère, tout comme mon père, était partie à tout jamais et ne reviendrait plus. S'il n'y avait pas eu Zack, je ne serais plus de ce monde non plus.

Je me raccroche tellement à la vie pour lui, que j'ai totalement arrêté de me poser des questions sur le sens de cette existence. En y réfléchissant un peu, nous pourrions mourir tous les deux. Et ainsi rejoindre papa et maman. Sauf qu'il n'y a peut-être rien de l'autre côté, rien du tout, et que mes parents n'auraient jamais voulu que je baisse les bras comme ça. De toute façon, Zack n'est plus là lui non plus. Le sentirais-je s'il était mort ? Et puis, il y a Brooke maintenant qui vient se rajouter à l'équation, bien qu'elle ne veuille plus me parler. C'est ma cousine, je l'aime autant que mon frère, nous sommes presque des sœurs elle et moi, je ne pourrai jamais la laisser tomber. Oh et puis pourquoi je me tracasse avec tout ça maintenant ?! Jusqu'à présent, ne pas me poser de questions m'a très bien réussi... enfin en grande partie.

Aeternam GalaxiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant