Aeternam Galaxia

➳ Chapitre 51 : Yoran

Assis sur les marches de la Salle de la Cathédrale, je profite encore quelques instants de ne pas avoir deux humains surveillant mes moindres faits et gestes. Ça fait un petit moment  déjà que Jennifer est partie. Je crois avoir enfin gagné sa confiance pour de bon, et étrangement, ça me réjouit. Pourtant, cette confiance n'a aucun intérêt pour moi, et rares sont les fois où les choses sans intérêts m'importent tant.

- Eh, toi là !

Je mets un instant à comprendre que quelqu'un s'adresse à moi. Brooke finit de gravir les dernières marches menant à la Salle et s'arrête à quelques pas de moi, ses bras croisés sur sa poitrine. Son visage n'exprime aucune émotion, pourtant lorsqu'elle prend la parole, sa voix est chargée d'une certaine amertume.

- T'as parlé avec ma cousine ?

- Oui, je lui réponds d'un ton mal assuré, craignant un reproche.

Elle détourne la tête et se mort la lèvre inférieure.

- Et elle... euh... elle va bien ? me demande-t-elle avec hésitation.

Je suis assez étonnée de sa question. Elles ne se reparlent toujours pas ? Et c'est à moi qu'elle vient demander des nouvelles de Jennifer ? Mmmh, bien étranges ces humains.

- Oui, me contenté-je de lui répondre.

Elle s'assoit alors à l'autre extrémité de la marche sur laquelle je me suis posé et m'observe du coin de l'œil. Elle a l'air méfiante, mais en même temps, un semblant de curiosité transparaît dans son attitude. Elle pose ses bras sur ses genoux avant de prendre la parole.

- T'es chelou comme Haera, tu n'agis pas comme les autres. La gamine, ça se voit qu'elle a trahi les siens sur un coup de tête, et la prisonnière semble pas vraiment heureuse d'être encore en vie, mais toi...

Elle s'arrête et se tourne entièrement vers moi avant de poursuivre.

- Je comprends pas pourquoi tu te comportes pas comme tout le reste de ton espèce.

Je laisse s'écouler quelques secondes -durant lesquelles les atrocités commises par ma patrie resurgissent par vagues douloureuses- avant de lui répliquer simplement :

- Nous ne sommes pas tous comme eux.

Je remarque alors que malgré moi, mon visage s'est tordu en une mine dégoûtée. Je m'empresse de décontracter mes muscles.

- Ce que je vais te dire va sûrement t'étonner, mais je me suis toujours dit que vous n'étiez pas tous foncièrement mauvais. Pourtant, quand il s'agit de survie, on est obligé de faire des choix. C'est pourquoi dès notre première rencontre, j'ai voulu te tuer, m'explique Brooke, comme pour se justifier.

- C'est normal, l'approuvé-je. À ta place, j'aurais fait pareil.

- Justement. (Elle se lève d'un coup) T'as souvent eu l'occasion de nous tuer, pour protéger ta propre vie et celles de tes semblables, mais tu ne l'as pas fait. Pourquoi ?

Je ne comprends pas trop pourquoi elle s'emporte tout à coup, ai-je dit ou fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?

- Au début, c'était parce qu'en ne m'en prenant pas à vous, j'assurais ma propre survie et celle de Seya. Aujourd'hui, c'est parce que j'ai entièrement pris conscience que mon espèce faisait fausse route en vous exterminant.

Je suis plutôt fière de ma réponse, persuadé qu'elle parviendra à la calmer, mais surtout parce que j'ai enfin réussi à dire à haute voix cette vérité que je tentais vainement de me cacher à moi-même. Si je me laissai aller, un sourire idiot viendrait certainement se greffer sur mon visage.

Brooke s'approche à grand pas et s'accroupit devant moi. La dureté de ses traits contredit le soulagement que je m'attendais à voir plutôt sur son visage.

- Pourquoi ? répète-t-elle.

- Je ne comprends pas, dis-je, confus.

- Pourquoi t'as pas suivi tous les autres Haeras ?

- Je ne suis pas le seul, Zorak non plus, et qu'importe ce que tu penses Seya a...

- Pourquoi ? hurle-t-elle.

D'un mouvement rapide, elle se penche sur moi en appuyant de tout son poids sur mon torse. Une douleur lancinante transperce mon dos au moment où il heurte durement l'arête de la marche du dessus. Brooke sort alors un couteau qu'elle me place sous la gorge. Ses yeux n'expriment pas la même rage qui anime ses gestes, mais plutôt un profond désarroi. Son action est certainement préméditée pourtant, elle semble douter. Je comprends alors qu'elle a dû venir ici dans le but de me tuer, mais mes paroles ont dû ébranler sa détermination. Je déglutis péniblement. Elle tient son couteau d'une main tremblante, je pourrais facilement la désarmer et la maîtriser, mais je ne veux pas me précipiter et regretter mon choix, et préfère ainsi avant tout tenter la médiation.

- Qu'est-ce que tu veux savoir ?

- Je suis sûre que tu prépares un truc, que t'es un espion ou quelque chose dans le genre, de mèche avec Zorak, et que d'ici quelques jours des dizaines Haeras vont débarquer pour nous massacrer, crache-t-elle.

- Si t'en es si sûre, pourquoi ne pas m'avoir déjà tué ?

Elle émet un grognement bestial et appuie un peu plus la lame contre ma gorge.

- Je ne suis pas ton ennemi, ni celui de ce camp. Je suis de votre côté et je vous protégerais, d'accord ? Je ferais tout ce que je peux pour vous garder en vie, je vous dois bien ça, vous auriez pu me tuer, mais vous ne l'avez pas fait. C'est moi qui aujourd'hui pourrais vous tuer, mais je ne le ferais pas.

Ses yeux verts ne quittent pas un seul instant les miens, comme à la recherche d'une vérité trop profondément enfouie. Sa respiration est saccadée, bien plus que la mienne, alors que cela devrait être l'inverse. Je crains que l'angoisse que j'arrive pour l'instant à contenir finisse par prendre le dessus et que mon instinct de survie ne ressurgisse. Je serais alors capable du pire.

Tout à coup, Brooke s'éloigne de moi et s'assoit au sol, les genoux serrés contre sa poitrine. Elle tient toujours le couteau dans sa main droite, mais ne semble plus prête à s'en servir. Des larmes coulent silencieusement sur ses joues, et son regard paraît perdu dans un endroit qui m'échappe. Très lentement, je me redresse avec une grimace et tors mon bras pour me frotter machinalement le dos. Je ne sais que dire ou que faire, ne voulant pas amorcer un nouveau conflit. Au bout de quelques minutes, Brooke murmure d'une voix faible et enrouée :

- Je ne sais plus quoi faire pour la protéger.

Puis elle se lève et se dirige vers la sortie, les bras ballants, son couteau toujours en main, avant de disparaître dans l'étroit boyau, comme si elle n'avait été qu'une simple apparition.

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Le chap' est légèrement plus court que les autres, mais bon. Qu'avez-vous pensé de ce petit accro entre Yoran et Brooke ? Et de manière général, que pensez-vous de Brooke ?