#18

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J'ai besoin d'une douche, ensuite d'un bon petit déjeuner, et d'une bonne nuit de sommeil. En conduisant, je repense à cette soirée, à la matinée et à notre conversation, sans oublier son cadeau.
Oui, Mathew m'a offert une invitation à dîner au restaurant avec lui ! Pour la première fois depuis onze ans, j'envisage d'accepter d'aller au resto avec un homme. Enfin ce matin je dis ça car je suis dans l'euphorie de la chose, mais d'ici ce soir il se peut que j'ai changé d'avis.

Je m'apprête à allumer ma radio car il manque de la musique dans ma voiture et le silence est trop pesant, quand mon téléphone se met à sonner. Le nom de mon père s'affiche; que me veut-il après tant d'années de silence ? Je ne souhaite pas lui répondre, encore moins lui parler, alors je laisse sonner.

C'est la troisième fois que mon père tente de me contacter lorsque j'arrive enfin chez moi. Voyant la voiture de Julia, je suppose qu'elle est là. Je prends mes affaires pour les laver, j'ouvre mon appartement et j'entre. Quand, pour la quatrième fois, mon père essaie de me joindre, je décide de répondre, trouvant étrange qu'il insiste autant. Même si je n'ai franchement pas envie de lui parler je pense à mes frères et ma sœur.

- Oui ?

- Kiara, c'est ton... C'est David.

David est mon père, enfin celui qui m'a conçu, mais qui, à la moindre faille, ne sait pas venir en aide à ses enfants, à moi en l'occurrence surtout.

- J'ai pu le voir. Je continue de parler tandis que je remarque Julia assise à la table de la cuisine avec Thibault pour le petit-déjeuner. Elle m'observe attentivement et je tente du mieux que je peux d'éviter son regard et de ne rien laisser paraître. Que me vaut ces quatre appels après autant d'années de silence ?

- C'est ta sœur.

Ma sœur n'a jamais vraiment saisi la raison de mon départ soudain, ni pourquoi je me suis isolée, la laissant seule. Trois ans me séparent d'elle, et bien que j'aie rompu tout contact avec ma famille, je n'ai jamais pu l'oublier. Elle est tellement précieuse à mes yeux que je serais prête à tout pour elle. Lorsque j'entends cette phrase, divers scénarios me traversent l'esprit, et même si j'ignore ce qu'il va m'annoncer, je pressens que ce ne sera pas une bonne nouvelle, car il m'appelle.

- Que se passe-t-il ?

- Elle est partie à ta recherche, Kiara. Hier soir, elle nous a laissé un mot disant qu'elle ne comprenait pas pourquoi nous ne t'avions jamais recontactée et pourquoi tu étais partie.

Karen ne les aurait pas quittés sans une raison valable, c'est certain. Quelque chose a dû se produire pour qu'elle décide de venir me voir. Partie hier soir, elle ne devrait pas tarder à arriver, compte tenu des neuf heures de route qui me séparent de nos parents. Je ne réponds pas à mon père, Julia m'observe, inquiète de me voir arpenter la pièce. Mon père poursuit son monologue que j'ai arrêté d'écouter depuis un moment. Il tente de me parler comme avant, mais il semble oublier que rien n'est plus comme avant.

- "Je t'en prie, Kiara, raisonne ta sœur et dis-lui de revenir à la maison." Ce sont les derniers mots que j'entends de sa part avant de raccrocher furieusement.

Après avoir terminé l'appel, je lance mon téléphone à travers la pièce, furieuse qu'il me demande cela après tout ce qu'il a fait. Julia se lève et s'approche de moi calmement, cherchant ses mots. Je ne sais pas si nous sommes toujours en conflit ou si la paix est déclarée, mais j'ai vraiment besoin d'une amie en ce moment. Thibault assiste à la scène, silencieux et immobile, nous observant à distance.

Julia hésite à me poser des questions, et j'ai du mal à lui expliquer la situation, mais je réussis à prononcer les mots "père" et "sœur" sans qu'elle comprenne davantage.

- "Je ne comprends rien, Kiara." Dit-elle en posant une main sur mon épaule, ce qui m'apaise un peu.

- "Mon père m'a appelée pour m'avertir que ma sœur était en route, et je..." 

Ma phrase reste en suspens car la sonnette de notre appartement retentit, interrompant notre conversation. Julia n'a jamais rencontré ma sœur. Quand nous étions petites, on nous prenait pour des jumelles, mais mes parents n'avaient pas prévu d'avoir un quatrième enfant après mes frères et moi, et elle est apparue comme par miracle. Lorsque Julia ouvre la porte, elle réalise immédiatement qui c'est. La ressemblance est frappante. Julia est stupéfaite; nos yeux sont verts, les siens légèrement plus sombres que les miens, ses cheveux châtains comme les miens, bien qu'elle ait souvent changé de couleur, sa teinte naturelle lui va le mieux. La seule différence est notre écart d'âge qui ne se remarque pas vraiment et la forme de nos visages : le sien est plus allongé que le mien, avec des traits plus délicats.
A cet instant je me rends compte que ma sœur m'a manqué, mon double, mon mini moi, mon tout. Elle était pour moi la prunelle de mes yeux.

Elle est toujours aussi magnifique, ses cheveux ont poussé et sont presque aussi longs que les miens. Elle ne m'a pas encore remarqué et j'ai peur de l'effrayer. Quand elle me voit enfin, elle laisse tomber sa valise et court vers moi. Sans réfléchir, je la prends dans mes bras. Elle pleure, et moi aussi, car nous ne nous sommes pas vues depuis près de sept ans. Elle continue de pleurer et je ne sais pas comment la consoler. Je me détache d'elle, l'observe de la tête aux pieds et elle en fait autant. Elle est splendide, je me sens repoussante; elle est heureuse, je suis malheureuse; elle est populaire, je suis inconnue...

Julia et Thibault nous regardent encore. Je ne veux pas que Julia parte, j'ai encore besoin d'elle. J'ai peur de rester seule avec ma sœur; elle ne sait pas, elle est si jeune, il faut la protéger. Julia me sourit et je me souviens que je n'ai pas fait les présentations. Je présente Julia comme ma seule et meilleure amie, et Karen comme ma sœur, sans oublier Thibault, toujours là.

Mais je ne sais toujours pas pourquoi elle est venue jusqu'ici pour me voir. Son regard interroge le mien, elle me sourit. J'essaie de la décrypter à travers son sourire, un sourire que j'ai déjà vu, un sourire empreint de compassion. Comment se fait-il qu'elle compatisse pour moi ? Elle sait, je le vois dans ses yeux, son regard sur moi a changé. Je voulais qu'elle revienne me voir pour d'autres raisons, je voulais lui manquer et non qu'elle vienne par pitié. 

Ma sœur sautille presque sur un pied à ma vue, ravie de me retrouver, et je partage son enthousiasme, mais je ne souhaitais pas la voir dans de telles circonstances. Je suis convaincue qu'elle désire connaître tous les détails, mais je ne me sens pas prête à tout lui révéler. Dans mon cœur, malgré sa beauté, sa taille et sa maturité, elle demeure ma petite sœur, celle que je dois protéger des monstres cachés dans le placard, celle qui serrait ma main pendant les orages, celle qui aspirait à être moi. Alors je prends cette décision qui je sais ne va pas lui plaire mais j'ai besoin de la protéger et de me protéger aussi. J'ai eu tellement de rejets étant jeune je ne veux pas le sien. 

Innocence volée (En Correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant