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Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas effondrée de la sorte. J'entendais Thibault parler à Julia sans saisir le sens de leurs mots, puis je l'ai entendu s'éloigner.
Julia s'est agenouillée à mes côtés et m'a serrée dans ses bras, comme elle le faisait autrefois quand je pleurais chaque soir.
Après avoir pleuré pendant de longues minutes, je commence à me calmer, Julia reste là, me caressant le dos pour me réconforter.
Je me lève finalement, décide d'aller me moucher, puis je m'assois sur le canapé. Julia se rend à la cuisine et nous rapporte deux tasses de chocolat chaud.

- Qu'est-ce qui se passe, Kiara ?

Elle est la première à rompre le silence qui s'était installé entre nous. Je ne sais pas vraiment ce qui m'arrive, à part que Mathew bouleverse la bulle protectrice qui m'entoure et que le retour de ma sœur me renvoie à une époque où j'allais encore bien.

- Je ne sais pas, Julia.

-Oh, mais tu le sais bien, tu ne veux pas que ta sœur découvre ce qui t'est arrivé, tu crains ce que tu pourrais ressentir pour Mathew et tu as peur de te laisser être heureuse, tout simplement, Kiara.

- Pourquoi suis-je si cruelle envers Karen ? Je lui en veux tellement d'être revenue, j'étais si tranquille seule avec mes démons.

- Oui, mais parfois, il faut partager nos démons avec quelqu'un, tu sais.

- Ils sont partagés avec toi.

- Seulement en partie, Kiara. Tu ne me parles jamais de tes cauchemars, tu ne reviens jamais sur cette nuit, et surtout, tu ne m'as jamais révélé l'identité de cette personne.

Elle a raison, je sais que je lui ai dit le strict minimum. Je n'ai pas voulu entrer dans les détails, je ne lui parle même pas de mes cauchemars et je ne lui ai jamais révélé qui m'a vraiment fait ça. Elle sait juste que c'est quelqu'un de ma famille, et c'est aussi une des raisons pour lesquelles je me suis éloignée, mais je ne lui ai jamais donné de nom. Je pense qu'inconsciemment, je ne veux pas le dire à ma sœur pour éviter sa pitié. Je suis absolument perdue, et je sais que parler me libérerait d'un énorme poids, mais je n'y arrive pas, je bloque quand les mots veulent sortir.

- Parle-moi, Kiara. Arrête de te renfermer, s'il te plaît.

- Qui va s'occuper de changer la porte ?

Je n'ai pas envie de lui parler car je sais qu'elle voudra connaître le cauchemar que j'ai fait cette nuit et comment je me sens à cet instant précis. Elle soupire pour montrer son mécontentement face à ma réponse, mais elle me répond quand même.

- Thibault m'a dit qu'il s'en occuperait.

- D'accord.

Je retournai dans ma chambre, pris mon sac de sport et me dirigeai vers la sortie.

- Où vas-tu, Kiara ?

- Faire du sport.

- Mais...

Je ne pris pas le temps de l'écouter, sachant exactement ce qu'elle allait dire : qu'il fallait que nous parlions, que je ne pouvais pas continuer à vivre avec un tel poids sur les épaules et que fuir les problèmes ne résoudrait rien. Parfois, j'ai l'impression que Julia est devenue ma mère au fil des ans. Après tout, je l'ai toujours encouragée à me materner, alors est-ce vraiment sa faute ?

Arrivée à la salle, je mis mon casque sur les oreilles et me précipitai sur le tapis de course pour un petit footing, le temps à l'extérieur n'étant pas clément.

La musique Offspring dans mes oreilles me pousse à courir toujours plus vite. Malgré l'énergie dépensée sur ce tapis roulant, ma colère ne s'apaise pas. La musique s'accélère, devient plus forte, et je synchronise mes pas avec le rythme qui sort de mon casque. Mon cœur bat si fort qu'il semble prêt à exploser, mais je refuse de m'arrêter. J'aime repousser mes limites, aller au-delà de mes capacités habituelles. Pourquoi ne puis-je pas cesser de courir ? Je me sens coupable d'avoir exclu ma sœur de ma vie, de m'être repliée sur moi-même, de ne pas vraiment vivre.

Je suis consciente d'être malade, d'avoir un problème, mais je n'arrive pas à l'admettre à haute voix. Même si je sais que j'ai besoin d'aide, je rejette toute main tendue. Je méprise la personne que je suis devenue : triste, réservée, solitaire, alors que j'étais tout l'opposé auparavant. Le sport est mon échappatoire, il me permet de me libérer lorsque je suis submergée par les émotions, comme c'est le cas aujourd'hui.

Haine, dégoût, colère, toutes ces émotions s'entremêlent en moi et forment un cocktail explosif. Il est difficile de gérer ce chaos dans ma tête. La vérité, c'est que je ne suis pas heureuse. Malgré mes efforts pour me convaincre du contraire, je n'y parviens pas. Je tente de me rappeler la dernière fois que j'ai ri jusqu'à en avoir mal au ventre, la dernière fois que je suis sortie pour simplement boire un verre dans un café ou un bar, mais je réalise que je ne m'en souviens pas, car les seules sorties que je m'autorise sont la salle de sport, le travail, et même pour les courses, je les fais en drive pour croiser le moins de personnes possible. Ma vie est si triste. Je ne me reconnais plus, et depuis le retour de ma sœur, je m'en rends compte et je me sens perdue.

Je sens ma tête tourner, mais je ne m'arrête pas pour autant. J'ai envie de m'évanouir, de m'échapper de ce monde ne serait-ce que quelques minutes. J'augmente la vitesse du tapis ; je n'ai jamais couru aussi vite. Ma respiration devient de plus en plus laborieuse, je peine à reprendre mon souffle. Je sens que je suis sur le point de lâcher prise, je suis presque partie quand le tapis s'arrête brusquement. Plongée dans le noir, ce que je prends pour une coupure de courant n'en est pas une. J'entends la porte de la salle se fermer violemment, je suis au bord de l'évanouissement, mon cœur bat la chamade et je ne sais plus quoi faire, si ce n'est que la peur me paralyse. J'essaie de rester calme, mais j'entends des pas dans le couloir qui se rapprochent de moi.

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Je vous souhaite à tous mes meilleurs vœux, une bonne santé surtout et que cette année soit meilleur que la précédente

Innocence volée (En Correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant