Ce matin, je n'ai pas été réveillé comme d'habitude. Tout ce dont je me souviens, c'est un bruit assourdissant, quelqu'un me secouant pour me sortir de mon sommeil et des bras me transportant jusqu'à ma baignoire pour m'y asperger d'eau froide... C'est ainsi que mon réveil fut aussi terrible que ma nuit...
- Kiara, ça va ?
La voix de ma sœur Karen résonne dans ma tête. Je ne comprends toujours pas pourquoi je suis trempée dans ma baignoire, de la tête aux pieds, ni comment elle a pu entrer dans l'appartement. Un hochement de tête devrait suffire pour qu'elle cesse de me demander si je vais bien toutes les trente secondes.
- J'ai froid.
"Froid" fut le seul mot que j'ai pu articuler en grelottant, avant qu'elle ne me tende une serviette. J'essayais de comprendre ce qui s'était passé, mais elle restait muette. L'arrivée précipitée de Julia dans la salle de bain m'a fait réaliser la raison de ma présence dans la baignoire. En repensant à ma nuit, les pièces manquantes de mon histoire se sont assemblées : le fracas venait de ma porte d'entrée forcée, ma sœur me secouant, me suppliant de me réveiller alors que je hurlais dans mon sommeil. Elle a appelé à l'aide et des bras masculins m'ont transportée jusqu'à ma baignoire. Voilà comment je me suis retrouvée ici, et surtout pourquoi : mes cris avaient effrayé ma sœur qui, n'ayant pas les clés, avait enfoncé ma porte avec cet homme dont le visage m'échappe encore et que je n'ai pas revu.
- Kiara, ma belle, ça va ?
Un simple échange de regards avec Julia suffit pour qu'elle comprenne que Karen doit partir, et Julia s'en charge, expliquant à ma sœur que, tôt ou tard, je connaîtrai toute l'histoire, ou pas.
- Alors, raconte-moi, qu'est-ce qui s'est passé ?
- Cette nuit, j'ai encore fait un cauchemar et j'ai voulu... enfin, tu sais...
- Non, Kiara, ne me dis pas que tu as recommencé ?
- Non, non, finalement grâce à toi et à ton message, mais je pense que quand Karen est arrivée, j'étais plongée dans un autre cauchemar... Il est ici, Julia, je le sais, je sens qu'il n'est pas loin...
- Kiara, ma chérie, il n'est pas là. Chaque année, à cette période, tu dis la même chose et il n'y a jamais personne.
- Mais...
- Il n'y a pas de "mais", Kiara. Tu détestes ton anniversaire depuis tes 14 ans et, chaque année, à cette date, tu revis ces terribles cauchemars et tu es obsédée par l'idée qu'il est près de toi, alors que tu ne l'as jamais revu.
- Je ne sais pas, je sens sa présence, Julia, je sais qu'il est ici, je le ressens, crois-moi, je t'en prie.
- D'accord, Kiara, je te crois, mais tu n'es pas seule, ta sœur est là maintenant et elle se fait beaucoup de soucis pour toi.
- Je ne veux pas qu'elle reste, je ne veux pas qu'elle sache et qu'elle s'inquiète pour moi...
- Alors tu lui diras toi-même. Habille-toi, on t'attend dans le salon.
J'enlevai mon pyjama trempé, le lançai dans la baignoire, pris mon survêtement qui traînait dans la salle de bain et m'habillai comme Julia me l'avait ordonné. Je ne voulais pas affronter ma sœur, mais je devais lui dire de partir, je ne la voulais pas dans ma vie.
Lorsque je sortis de la salle de bain, Mathew sortait des toilettes. Mathew, mais que faisait-il ici ? Il passa près de moi pour aller se laver les mains et son odeur, son parfum... c'était donc lui ! C'était lui qui m'avait portée jusqu'à ma baignoire, son odeur était sur mon pyjama ! Il m'avait portée si délicatement, comme si j'étais la chose la plus fragile qu'il ait jamais portée !!
Je le fixai et il me fit un clin d'œil en guise de réponse à ma question silencieuse. Comment avait-il pu deviner ce que je me demandais ?Je continuai mon chemin jusqu'au salon où ma sœur, Julia et Thibault m'attendaient. Je pris une grande bouffée d'air et adressai mes paroles à ma sœur.
- Je ne veux pas que tu restes ici, tu dois repartir, je ne t'ai jamais demandé de revenir.
Elle me fixa, les larmes aux yeux, ne comprenant pas pourquoi je la chassais de ma vie, ni pourquoi je ne voulais rien lui dire sur ma vie.
- Je refuse de retourner chez nos parents, il est hors de question que j'y rentre, que tu le veuilles ou non.
- Je ne te laisse pas le choix, Karen, je ne veux plus de toi dans ma vie.
Il est vrai que je semblais froide et insensible après ces mots envers ma sœur, mais mon cœur était lacéré de lui avoir dit cela. Je ne voulais pas qu'elle parte, mais je ne voulais pas non plus qu'elle le sache. Être cruelle avec elle était la seule option qui me restait.
Au fil des années, j'avais réussi à me construire une carapace, à fermer mon cœur à toute forme d'amour et surtout à effacer mon passé. Cependant, le retour de ma sœur a ravivé mes souvenirs d'enfance, donc paraître aussi froide face à elle était un véritable défi, un combat intérieur...
La voir pleurer sans pouvoir la serrer dans mes bras comme avant me rendait incroyablement vulnérable. Je ne devais pas lui montrer que je partageais sa douleur, encore moins que j'étais aussi attristée qu'elle.
- Tu ne crois pas un mot de ce que tu dis, j'en suis certaine, tu ne peux pas être insensible, tu ne peux pas me traiter de la sorte. Je ne partirai pas, Kiara, je ne t'abandonnerai pas comme tu m'as abandonnée. Je ne suis pas lâche, tu as peut-être changé, Kiara, mais moi aussi, je ne suis plus la jeune adolescente que tu as laissée derrière toi; j'ai dû apprendre à mûrir plus vite que prévu. Je sais que tu me caches quelque chose, je ne sais pas encore quoi, mais je sens que cela t'a changée à jamais et tu ne peux pas continuer à vivre ainsi.
J'étais là, écoutant ma sœur me sermonner, je l'observais, absorbais ses mots et réalisais combien elle avait grandi. Elle n'était plus la petite sœur dont il fallait prendre soin. J'avais manqué tant de moments avec elle, son baccalauréat, son permis de conduire, son entrée à l'université, probablement son premier petit ami. Je prenais conscience que cet être abominable n'avait pas seulement ruiné ma vie, mais aussi celle de toute ma famille, y compris elle, le trésor le plus précieux à mes yeux, ma petite sœur. Par mon absence, elle avait dû affronter la vie et grandir sans mes conseils, sans ma présence et surtout sans sa grande sœur.
Plus aucun mot ne voulait sortir de ma bouche, aucune larme ne coulait sur mes joues, mais mon cœur, lui, venait de se briser complètement.
- Tu es le bienvenu chez moi si tu le souhaites.
Toutes les têtes se tournèrent vers celui qui venait de prononcer cette phrase dans le salon. Julia et Thibault furent surpris par cette invitation, ma sœur semblait ravie, tandis que moi, j'étais inquiète et furieuse contre lui... Comment osait-il faire une telle proposition alors qu'ils se connaissaient à peine ?
Ma sœur accepta sans hésiter, me jeta un dernier regard, prit ses valises et suivit Mathew dans le couloir.
Je venais de la laisser partir avec un parfait inconnu, et c'est là, à cet instant précis, effondrée dans le salon et repliée sur moi-même, que je me permis enfin de pleurer, après tant de temps.
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Innocence volée (En Correction)
RomanceOn ne peut expliquer ce que l'on ressent, honte, dégoût, colère, haine voilà les émotions, mes sentiments. J'étais si jeune et impuissante, j'étais sa chose, son objet, sa marionnette, sa poupée .... On ne peut décrire ce que l'on ressent, on essa...