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« Nous naissons nus, nous mourrons nus. »

À sa place je me serais auto-défoncé. Mes mots sont toujours, mais toujours mal placé ! Je rajoute cette culpabilité à ma longue liste. Mais elle aussi j'vois pas pourquoi elle insiste, elle me gave, si elle était partie sur le coup, je lui aurait pas parler comme ça. Elle cherche la petite bête pour qu' ensuite que je me mette dans tous mes états! Ce genre de situation me soûle au plus au point, j'sais même pas quoi faire. J'aurais pas aimé qu'on me parle comme je l'ai fais : une mère c'est trop sacré pour oser dire un seul mot de travers en son égard. La langue, cette organe de fou qui nous cause toujours des problèmes. Voilà pourquoi elle me disait « Pèse le poids de tes mots avant de les prononcer », cette règle j'ai du mal l'assimiler. J'ai cette incapacité quand je suis énervé à peser le poids des syllabes que je sors, quand mon sang est chaud, mes paroles deviennent acide.

Je trace ma route, la main dans les poches. Une canette forme un obstacle, d'un coup je l'envoie balader, ma triste réalité m'empêche d'avancer même une canette veut pas que je trace mon chemin ! Je prends une barrette que j'aurais dû vendre et l'allume. Quand j'sais pas quoi faire, ni où aller je me retrouve sur ce banc. Là, où on m'a annoncé son décès. C'est glauque comme situation mais si je rentre dans cette baraque je risque de tout casser... c'est aussi une manière de me torturer l'esprit. Je respecte rien, même pas sa mémoire ! Quel honte je suis ! L'enfer c'est moi! c'est la hchouma totale. Le grand est posé, travail, appart', une bonne vie. La petite fait des allers-retours à l'école, révise, discute avec le padré. Et moi j'suis qu'un pauvre rejeton qui fume sur un banc sans réel aspiration, ni rêve.

Les rêves disait-elle, permettent de nous maintenir éveillés. Il est ce nuage sur lequel on peut se poser et écouter une musicalité autre que ce qu'on entend au quotidien. Il est cette alchimie qui régit le monde, que tu sois un pauvre vivant dans un bidonville ou un riche vivant dans un palace, la donne est la même : tu dessines un nouveau monde grâce aux rêves. Tu discutes avec la terre, lui vient, te prends par la main, et t'emmène dans une autre contré. Il nous tient la main telle une mère. Il est celui qui guérit certains maux mais il est aussi un destructeur. Sauf que sans rêve la vie est âcre.

Mes rêves étaient les tiennes, elles sont mortes en même temps que toi. L'obscurité dans laquelle je vis m'étouffe. Je suis parmi les vivants en étant mort à l'intérieur. J'sais pas comment à la maison ils font pour vivre sans ta présence, j'ai l'impression d'être le plus brisé dans toute cette histoire, et j'arrive pas à comprendre pourquoi... Ilyas était ton fils, Jade ta fille, papa ton mari, et j'ai la sensation d'être le seul touché par ce malheur ! Regarde comment j'ai parlé à Malak, c'est pas digne du fils dont était fière, c'est pas digne du tout...

Je m'allonge comme un pauvre clodo sur ce banc mouillé. La nuit tissent sa toile. Les constellations dansent. Je ferme les yeux et écoute le monde qui m'entoure. Les motos, les voitures, les discussions entre morveux, entre drogué, entre pouilleux, entre vaincu, entre invaincu. Le vent souffle à son rythme. D'un côté, une belle femme qui aurait donné tout pour n'importe qui: ma mère. De l'autre côté Melha, une amie qui pense que la chance sourit à tout le monde, et qu' il n'y a pas de quoi se mettre des barrière. Fondu entre ces deux visages, Malak, une personne qui donne pour rien... Pour se sauver ? Pour ne pas se sentir fautif ? Pour oublier la dureté de la vie ? J'ouvre immédiatement les yeux. J'hallucine. Je pète un plomb. Je bouge. En somnambule, je me retrouve devant son bloc.

Machinalement, je siffle. Je sais même pas de quel côté du bâtiment C elle est mais il y aura sûrement quelqu'un qui va sortir sa tronche. Nahil avait dit le troisième étage donc je tente ma chance. Le m'sieur le plus bizarre de la tess sort sa tête. C'est l'un des vieux qui cassent les couilles à tous les jeunes sous prétexte qu'il a besoin de calme. Avec les collègues, à l'époque, on lui faisait la misère. En me voyant, l'enculé me crache au pied puis referme sa fenêtre, tire ses rideaux et éteint sa lumière : rentre dans ta cage du con ! C'est parce qu'il est perché en haut de son arbre qu'il fait le vieux corbeau.

Le naufragé de la rueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant