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« Différente »

  Les p'tits débarquent, ils ont l'air heureux de voir cette face  reflétant le bonheur. À chaque fois qu'un des mômes arrivent, elle pince  leurs joues. Si j'étais à leur place je lui en aurait foutu une bonne  leçon, elle les prends trop pour des gamins de deux piges. Elle vient  vers moi, une petite fille dans les bras, elle me parle, fais des grands gestes, je capte un mot sur deux. Elle  me donne la petite. Je suis juste subjugué par ce spécimen que j'ai en  face de moi. Elle demande aux petits de s'asseoir. J'ai même pas remarqué le nombre de grincheux qu'il y a, ils sont déjà une vingtaine  sur place. J'sais pas comment elle fait pour gérer tous ces gamins mais  elle y arrive, avec une putain de facilité, qui me laisse bouche bée. On a l'impression qu'elle donne le sourire aux enfants mais non ! c'est les mômes qui la rendent heureuse. Les enfants ont cette magie qui nous  monte au septième ciel. 

- Tu peux au moins m'aider, je vais te payer pour rien là... allez viens princesse.

  Son visage est rayonnant, c'est un truc de taré ! Elle se place au milieu d'un rond qu'on formait les jeunes. Elle pose la petite fille  dans entre ses jambes. En scrutant bien, je reconnais cette petite.  C'est la sœur à un mec un peu paro du quartier, elle est infirme. En  clair, elle tient pas sur ses deux jambes ; elle est handicapé. On la voit rarement dehors, ses parents ne la sortent pas souvent, je sais pas  comment elle a réussi à avoir leur confiance pour qu'elle soit ici...  seul son frère se promène avec elle, et il est pas dans les parages. Son  frère et elle, c'est comme Jade et moi. Ça pue à mille kilomètres qu'il  brise des membres pour sa sœur, son handicap le rend impuissant. Quand  il est shooté, on peut l'entendre aboyer des insultes contre le monde  entier, pour lui, sa sœur ne mérite pas de vivre ça, elle est trop  jeune. Mais frère, qui mérite d'être dans cette situation ? Le monde  s'écroule sous nos pieds, et on comprends pas ! On est des âmes damnés  dans ce quartier.

Elle ouvre un livre, et commence à lire. On  aurait dit shab les maîtresses en maternelle. Elle lit avec  l'intonation, fais des gestes juste pour que des rires émanent de leur  bouche, elle en a rien à faire de paraître ridicule. Sa manière d'être,  son comportement, me rappelle spontanément ma mère. Elle me manque  tellement que je commence à me faire des films, Wallah que j'ai  l'impression de la voir dans cette folle. Elle a cette empathie que peu  de personne ont. Parmi toutes ses qualités se cachent des milliers de  défauts ; elle tient pas sa langue, elle est maladroite...  mais elle a  un truc spécial... c'est une fille qu'on voit rarement dans les rues  aujourd'hui. Je me crois shab dans les films ricains !

Jade se lève et vient s'asseoir à côté de moi, en se collant contre moi.

- T'as quoi ?

- Je suis fatiguée.

- Tu veux qu'on rentre ?

- Non. On reste jusqu'à la fin.

- Mina est venue avec qui ?

- Sa maman l'a emmené, après Malaka va la ramener chez elle.

- Ah...

- Tu vois qu'elle est gentille.

- Ouais.

- Tu sais qu'elle travaille avec les docteurs, je veux aussi faire comme elle quand je serais grande.

- Elle t'a dit qu'elle fait quoi ?

- Qu'elle s'occupe des malades, elle les pique, elle les fait rire.

- Elle t'a parlé de sa maman ?

  - Oui. Faut pas le dire, c'est pas un secret mais je veux pas être une  rapporteuse, sa maman est malade, et elle va la voir tous les matins. Tu  crois qu'elle va mourir comme yemma ou son papa ?

Le naufragé de la rueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant