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« Les liaisons dangereuses »

La France m'accueille froidement, j'ai cru me frigorifier au même moment. Elle me mate avec des yeux de merlan frit, à croire que je vais lui faire la bise. Elle m'a toujours considéré comme un étranger, aujourd'hui, elle veut me la faire à l'envers ; ça marche pas comme ça, ma belle. Tu peux ressembler à Miss Univers, mon regard n'effleurera pas ta face hypocrite... sauf dans tes rêves.

Je suis rancunier, c'est clair et net ; Petit, j'ai traîné mes pompes dans des bureaux avec ma daronne, la frousse au froc, les mains tenant fermement sa jupe, croyant qu'on allait nous sortir de la bouse de vache. Je me suis trompé, elle nous a toisé. Ils ont considéré ma mère comme une bougnoule en manque de thune. C'était le cas, on était en manque d'oseille. Entassé dans notre piaule, on crevait la dalle ; en hiver, on se les gelait, parce que le chauffage n'était pas allumé. Mon père a trimé pour nous ramener de la bouffe, il s'est cassé le dos à trouver un taf pour donner à bouffer à ses gosses.

Nombreux, à l'époque de mes darons et même maintenant, vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans notre dame France. Et après les plus favorisés, s'amuse à critiquer les moins fortuné. Mes parents pensaient que cette terre-vain serait l'idéal pour eux, sans soupçonner que leur frigo serait, à un moment ou un autre, vide..

Cette France qui utilise la liberté pour s'enrichir, la fraternité en fonction de ses affinités... et l'égalité ? Elle l'utilise quand bon lui semble. Elle m'a vu naître, m'a vu grandir, m'a vu traîner dans la cour de l'école et m'a vu faire des conneries. Son regard ne s'est pas arc-bouter sur ma tronche de maghrébin ; comme une maman africaine, elle m'a tchipé. Ouais ! je me sens étranger dans mon propre pays, c'est pas un truc de ouf ? Le système qui se veut soi-disant égalitaire à créer des ordures et s'en plaint en voyant la rétribution. Si au moins une fois, elle nous gratifiait d'un regard sincère, juste un seul, Wallah, elle l'aurait pas regretté... au lieu de ça, elle nous enfonce... J'ai jamais demandé à grandir enclavé comme un chien, même un chien est mieux traité... khlass ! Faut que j'arrête, ce même ressentiment victimaire à mener des frères en zonz et a finit par les rendre déjanté!

Mon compagnon de route, allume le moteur et démarre. La tête enfoncée dans le siège, je plonge dans mes songes. Ces vacances m'ont requinqués un truc de malade mental, même si j'appréhende le retour au bercail.. Les tours en ciment s'alignent au loin avec une recrudescence intraitable. Elles m'attendent au tournant, grandissent, s'étalent, se laissent attraper par ma vision.

- T'es sur quelle île ?

- Hein ?

- Je jacte seul depuis tout à l'heure, même le p'tit se marre.

En effet, le môme rigole à l'indigestion. Perdu, je me racle la gorge.. revoir ces murs me ramènent sur terre. Dans tous les cas, je reviens ressourcer et serein. Il traverse la frontière et s'arrête devant mon bloc. Je contemple ma tour de haut en édifice, elle m'attend avec une patience de groupie, ensuite, je slalome de crapules en crapules ; on est des vrais galériens, j'aurais kiffé qu'un jour l'immeuble s'écroule pour voir nos faces. Quelle connerie ! Dans tous les cas, on aura un coin où squatter. Hâlim salut de la main les habitués. Je le remercie et tchèque le petit, posé à l'arrière. Sans aucune hchema, il dit à son daron qu'il veut venir me voir! il m'a adopté en une semaine. Pour lui, y a pas de soucis, il est le bienvenu dans les entrailles de mon quartier, au moins il me servira ; ze3ma il pourra puiser son énergie à me remettre d'aplomb comme il a réussi à le faire durant notre séjour.

J'attrape mon sac de sport. Je regarde la gova se faire graille par la route ; retour à la terre ferme. Mon sac derrière l'épaule, je monte les quelques marches qui me séparent des frères. J'envoie une poignet de main à chacun d'eux, avant d'être stoppé par Brahim. Ça fais un bail que j'ai pas eu de nouvelle de lui. Je le voyais de temps en temps, sans plus. Il s'est fait rare sur la surface du bitume.. il a les pupilles dilatés, les yeux explosés par je ne sais quoi. Il affiche un sourire niais.

Le naufragé de la rueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant