Chapitre 4

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Cette fois c'est un bip sourd qui me tire de mon sommeil. J'ouvre les yeux et regarde l'heure sur mon téléphone à côté de moi. Quatre heure dix.

Je dégage ma main crispée de mon pistolet et étire mes doigts pour les dégourdir.

Mon estomac se retourne et me donne la nausée. Malgré la fatigue, je me lève et cours jusqu'à la salle de bain pour me pencher au-dessus des toilettes, mais je ne parviens qu'à cracher un peu de bile. Je reste un long moment penchée en avant, les yeux fermés.

Tous les matins je me réveille avec le même sentiment de malaise qui me prend aux tripes, la même douleur dans ma tête qui finit par s'estomper avec les minutes.

Et la seule chose que j'arrive à voir, même sous mes paupières closes, c'est une photographie prise quelques années plus tôt dans le salon de mes parents ; une photographie sur laquelle est imprimée la silhouette tordue de mon père, gisant au sol, et celle de ma mère en travers du canapé, tous les deux tués d'une balle dans la tête.

Je me repousse de la cuvette des toilettes et rouvre les yeux pour regarder la marque noire sur mon bras. Les écritures se sont éclaircies et l'encre a un peu bavé, mais le nom est toujours là.

Douglas.

Je me relève et prends mon téléphone sur la table de nuit. Je n'ai aucun souvenir d'être allée me coucher, ou même de l'avoir posé là. Pour vérifier, je l'allume et consulte la liste de mes e-mails : mon rapport complet est terminé et a été envoyé au SHIELD la nuit dernière. Je parcours les lignes du regard en les découvrant au fur et à mesure, et constate qu'elles sont indéniablement de moi. Pourtant ce n'est pas moi qui les ai écrites.

Je jette mon téléphone sur le lit et retourne dans la salle de bain. Derrière le miroir il y a un petit meuble à pharmacie. J'en sors une boîte orange à moitié remplie de pilules blanches et en avale une pour lutter contre ma migraine. Les crises laissent toujours de désagréables souvenirs derrière elles.

Un trouble dissociatif de l'identité et des crises de panique. C'est ce qui m'a été diagnostiqué avant que je ne sois réintégrée au SHIELD. Tout ça à cause de ce qui s'est passé pendant mes deux années de congés forcés.

Je parviens à effacer le nom une fois sous la douche à force de frotter avec du savon mais il laisse derrière lui une marque rouge. Ce n'est pas la première fois que ça arrive ; je sais ce que je dois faire. En sortant de la douche, je m'habille à la hâte et ouvre une page internet sur mon téléphone.

Harvey Douglas est un sénateur du Massachusetts depuis déjà trois ans. À quarante six ans, il est marié et père de deux enfants. En approfondissant ma recherche je me rends compte qu'il considère participer à l'élection présidentielle de la fin d'année pour remplacer Matthew Ellis. Mais pourquoi lui, pourquoi lui parmi tant d'autres ? me demandé-je en fouillant son passé puis son programme jusqu'à trouver pourquoi son nom s'est retrouvé sur mon bras.

Le sénateur Douglas s'oppose à une proposition de loi concernant l'enregistrement des super-héros, qui traîne depuis déjà quelques temps dans les sous-commissions législatives. Pour l'instant, trop peu de membres du Congrès sont prêts à faire passer la proposition au niveau supérieur. Ce sera au nouveau président de décider qu'en faire – à moins qu'un nouvel événement comme le désastre de la Sokovie ne vienne bousculer les esprits – et Douglas n'est pas de ceux qui veulent l'envisager.

Je sais ce que les marques sur mon bras signifient.

Un nom, un seul. C'est un assassinat.

« FRIDAY ? appelé-je.

- Miss Loïs ? répond une voix légèrement robotisée avec un fort accent irlandais.

- Je rentre chez moi pour le moment. Si une nouvelle mission arrive, préviens-moi. »

J'enfile un gilet et une veste en cuir pour me protéger de la fraîcheur matinale et laisse mes pistolets en évidence sur la couverture avant de sortir. L'ascenseur vide m'emmène au bas de la tour. Je ne rencontre personne sur le chemin.

Le soleil n'est pas encore levé mais les rues sont déjà en train de se remplir. Je marche les mains dans les poches jusqu'à la station de métro Grand Central, me fondant facilement dans la foule, et entre dans une rame peu fréquentée jusqu'à Brooklyn.

De là, je rejoins mon appartement au premier étage d'un petit immeuble. Il est bien plus modeste que la chambre que Stark m'a prêtée, mais c'est le seul endroit où je n'ai pas besoin de mentir. L'odeur familière de chez moi me saute aux narines aussitôt rentrée. Je referme la porte et pose ma veste sur le radiateur éteint avant de me rendre dans la cuisine. Après un coup d'œil dans le réfrigérateur, je jette des restes de nourritures moisies et prépare un petit déjeuner d'œufs et de bacon. La cuisine est petite mais elle est suffisante pour moi seule.

J'ouvre la fenêtre et j'emmène mon assiette dans le salon. Sur la table basse traînent quelques cartons de nourriture à emporter tachés de gras et trois ou quatre bouteilles d'alcool vides.

La peinture sur les murs commence à s'assombrir dans les angles, remarqué-je tout en mangeant. L'appartement a été rénové il y a une dizaine d'années par le SHIELD, puis c'est à moi qu'il a été affecté. Je l'aime bien. La décoration est spartiate, je n'ai jamais vraiment pris la peine de le meubler : un canapé, une table, une télévision et pas mal d'espace vide, bien loin de l'opulence élégante dans laquelle vit Stark.

Après avoir fini et nettoyé, je me rends dans mon chambre et y trouve mon ordinateur portable, éteint sur le sol, comme je l'y avais laissé. Je m'installe sur le lit et commence mes recherches sur Harvey Douglas. Il y a une raison pour que son nom n'apparaisse que maintenant : l'homme est en voyage à New York pour quelques jours, il doit rencontrer d'autres membres du Sénat.

Je note mentalement l'adresse du restaurant choisi pour le rendez-vous, en plein Manhattan. Impossible de trouver l'heure prévue. Tant pis, je m'installerai à sept heure et attendrai.

Les ressorts de mon lit grincent quand je me relève. Je traîne une chaise contre mon armoire et grimpe dessus ; j'attrape du bout des doigts mon fusil, un Remington que j'aime particulièrement. Je le pose entre deux serviettes éponges dans un sac de sport noir, puis je ferme le sac et le pose dans l'entrée.

Je passe le reste de la journée à nettoyer l'appartement, la télévision allumée sans vraiment la regarder. C'est en sortant mes draps de la machine à laver qu'une voix que je connais attire mon attention. Je pousse rapidement les draps dans le sèche-linge, le mets en marche, puis me plante devant la télévision.

Une femme blonde et un homme en costume gris font face à la caméra, installés à leur table de journalistes. Une bannière donne leurs deux noms mais je les connais suffisamment pour savoir qui ils sont.

« ...déterminer si oui, ou non, il devrait y avoir une taxe spéciale pour rembourser les dégâts causés par ces héros, pendant ce que Christine décrit ironiquement comme « exploits », mais que je préfère appeler « ces moments où ils nous sauvent la vie à tous », déclare Will Adams, souriant à la caméra, manifestement rempli de dédain à l'égard de sa partenaire à l'écran.

- Mais la question subsiste, la responsabilité financière devrait-elle retomber sur ceux qui causent les dégâts, ou sur les citoyens qui n'ont rien d'autre à faire que recoller les morceaux, rétorque Christine Everhart, un sourire factice figé sur les lèvres.

- Oui, reprend Adams, nous devons tous décider si nous préférons payer plus de taxes ou... être en vie. »

Je soupire et éteins la télévision sans écouter la suite. Aucun Avengers n'apprécie Everhart, majoritairement à cause de ses critiques acerbes contre eux – quoique il me semble que l'aversion de Stark pour la journaliste aille un peu plus loin que ça. Néanmoins, elle a raison, de plus en plus de gens se rendent compte qu'ils n'ont plus envie de payer et réparer les pots cassés par Steve Rogers et son équipe de héros.

Si la réélection de Matthew Ellis s'était jouée sur une promesse de sécurité en partenariat avec Iron Man – et ceux qui ont suivi –, le nouveau président devra répondre à de nouvelles questions de responsabilités.

Et c'est pour ça que je dois tuer Douglas.

CerberusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant