Chapitre 14

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Bassora, Irak

« Sherazi ? Sherazi ! Loïs ! Ouvrez les yeux ! »

Tout est noir. Il n'y a rien. Il me semble que je flotte. Et puis, soudain, cette voix perce le silence, tout droit sortie du vide. Tout d'un coup, une lumière blanche remplace l'obscurité. Et à nouveau, la voix, inquiète :

« Sherazi, réveillez-vous. Battez-vous ! »

Je reprends conscience d'un coup, essayant vainement d'aspirer de l'air. Je ne suis plus au bloc, pourtant je suis encore allongée sur le brancard, le dos exposé. Et la douleur me fait voyager en enfer. Je hurle, je tire sur mes bras attachés aux poignets par des sangles en cuir des deux côtés de la civière, mais je ne parviens pas à me libérer.

« Elle est réveillée, fais-la rentrer dans le caisson ! » cri un homme.

Le brancard se met à avancer en tressautant sur ses roulettes. Je me tords de douleur, les muscles de mon dos se contractent et soudain ma colonne vertébrale s'arrondit pour former un angle improbable.

Quelqu'un détache les sangles de mes mains. J'entends les deux chirurgiens compter jusqu'à trois avant de me soulèvent d'un coup, avant de me poser dans un genre de bac gris, dont le couvercle se referme sur moi.

Avant même que je ne sois plongée dans le noir, plusieurs petites lumières rouges s'allument tout autour de moi et un bourdonnement signale qu'un moteur s'est mis en marche.

Mon dos est d'abord traversé de petits picotements, comme si la peau se pinçait très rapidement. Une sensation de brûlure se développe à une vitesse inhumaine et se propage le long de ma colonne vertébrale.

Je plaque mes paumes contre les parois du caisson et pousse le plus fort possible en criant. Tout, je ferais tout pour m'échapper d'ici. J'ai l'impression de sentir l'intérieur de mon corps fondre sous la chaleur.

L'action du caisson s'arrête au bout d'une éternité. Quand le couvercle s'ouvre je ne suis plus rien d'autre qu'une poupée de chiffon désarticulée. Les chirurgiens me sortent de la machine et me reposent sur le brancard à peine consciente. Moore asperge mon dos d'un liquide froid qui me fait glapir, mais qui apaise la brûlure. Miller s'agenouille près de moi et essuie la sueur et la bile sur mon visage avec une serviette. Elle me tapote gentiment la tête en même temps, me distrayant assez longtemps pour permettre à Moore d'injecter le contenu d'une seringue dans une perfusion reliée à mon bras. Quelques minutes plus tard, je sombre à nouveau dans le vide.

Je reprends conscience une première fois mais me rendors presque immédiatement après avoir senti l'infirmière changer la poche de ma perfusion. En me réveillant, la poche est à moitié vide.

Je lève la main pour gratter un point à la base de ma nuque qui me démange furieusement. Mes doigts butent sur un petit amas de chair. Je le palpe sans comprendre ; je suis la ligne le long de ma nuque jusqu'à ce qu'elle se perde dans les profondeurs de ma blouse en papier. Mon cœur rate un battement. Je retrouve mes esprits en un instant et jure en descendant le plus loin possible. La cicatrice est longue et large. Qu'est-ce qu'ils m'ont fait ?

Paniquée, mais curieusement assez lucide pour ne pas précipiter mes gestes, je fais glisser mes pieds sur le sol tout en restant allongée sur le ventre. Les muscles de mes cuisses protestent mais je ne les écoute pas. Je me repousse du lit à la force de mes bras.

Le tube qui me relie à la perfusion est presque tendu au maximum. Je pourrais arracher l'aiguille plongée dans mon bras, mais il s'agit probablement d'anti-douleurs et pour rien au monde je ne voudrais me soustraire à leur action. Au lieu de l'enlever j'attrape la tige métallique qui retient la perfusion en l'air et m'appuie dessus pour avancer.

Au début, mes jambes ne supportent pas mon poids et me forcent à me retenir à la tête de lit pour ne pas chuter. Je lâche une main au bout de quelques minutes et teste mon équilibre en passant d'une jambe à l'autre, l'autre toujours fermement agrippée au rebord.

Dans mon dos, la porte s'ouvre. Je me retourne lentement et fais face à Sitwell qui se tient à l'entrée de la chambre, les yeux écarquillés. Derrière lui, observant par-dessus ses épaules, les docteurs Moore et Miller arborent une expression fascinée.

« Qu'avez-vous fait? grondé-je.

- Vous devriez vous rallonger », prévient Sitwell.

Je me penche vers mon lit et pose une main sur le matelas comme si j'allais obéir, mais à la place je dégage mon pistolet de sous l'oreiller et le braque sur l'homme.

« Qu'avez-vous fait ? répété-je une nouvelle fois d'un ton sourd.

- Asseyons-nous, propose Miller, et nous vous raconterons tout. »

Elle s'immisce entre Sitwell et le chambranle de la porte, et entre à l'intérieur. Je la scrute du regard mais elle n'est pas armée. Je désigne le fauteuil avec le canon du pistolet tandis que, lentement, je me rassieds sur mon lit. Le second médecin prend place à côté de Miller ; quant à Sitwell, il reste debout, à l'écart. Il ne dit rien, il n'a pas l'air menaçant ; mais il bloque la sortie.

Je reporte mon attention sur les deux autres en face de moi, qui ne peuvent pas s'empêcher de me détailler, le sourire aux lèvres.

« Vous feriez mieux de vous mettre à parler, les préviens-je.

- L'opération ne s'est pas déroulée comme prévu, commence Miller.

- Je pensais que vous deviez juste m'injecter un putain de sérum. Que s'est-il passé ? demandé-je durement.

- Nous avons transfusé le sérum dans votre moelle épinière pour la guérir. Au début, nous avons cru qu'il réparerait complètement les os mais c'est le contraire qui s'est passé. La structure osseuse de la colonne vertébrale s'est dégradée, détruite par le sérum. Il s'avère que l'agent chimique qui empêche la solution de dupliquer les cellules trop rapidement est plus puissant sur l'humain que ce que nous croyions : il s'attaque aux os, tandis que le sérum lui-même les répare, mais pas assez vite. Alors Miller a eu une idée. Elle a utilisé des atomes de vibranium, le métal le plus résistant connu à ce jour, pour les injecter dans vos os et enfermer le sérum dans une coque.

- Est-ce que vous avez déjà testé ce truc ? demandé-je avec incrédulité, envisageant déjà ma mort prochaine.

- Seulement sur des rats, admet Miller. Nous n'étions pas sûrs que ça marcherait, mais en faisant évoluer les cellules organiques avec le vibranium, les deux se sont assemblés sans dommages. On pense qu'il arrivera à retenir le sérum du super-soldat prisonnier à l'intérieur pour qu'il ne puisse pas détruire le reste de votre corps. »

Je baisse mon pistolet et pose mes deux mains sur le lit pour me soutenir. Je suis vivante et je marche. Mais pour combien de temps ?

« Est-ce que ça va marcher longtemps ? Est-ce qu'il y a un risque que le sérum s'échappe et s'attaque à d'autres os ?

- Vous êtes la première à le tester, nous ne savons pas comment ça vous affectera, avoue Moore. Tout ce que nous pouvons faire, c'est vous garder en observation jusqu'à ce que nous soyons sûrs que votre état s'est stabilisé. Mais il n'y a que vous pour le décider. »

Je serre la crosse de mon pistolet dans ma main en réfléchissant. Je savais avant de commencer la procédure que le traitement était expérimental mais je m'attendais plus ou moins à un miracle.

L'image de mon frère s'impose dans mon esprit et me fait fermer les yeux. Il me dirait probablement de continuer s'il était toujours vivant.

Et ma mère aurait voulu que je les venge tous.

« On continue », cédé-je.

CerberusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant