Chapitre 24

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Je laisse mon infirmier me sangler sur mon fauteuil roulant sans réagir. Je ne frémis pas plus quand il pose sur moi une couverture épaisse qui remonte jusqu'à mon cou que quand il pousse la chaise hors de la chambre. Nous parcourons le couloir et une porte automatique s'ouvre sur la cour.

La piqûre mordante du froid s'attaque à mon visage découvert et me fait froncer le nez. Je prends une grande inspiration d'air pur et laisse mon infirmier me balader lentement le long de la cour. Je connais le chemin par cœur à force de le faire chaque jour, pendant des semaines.

Les murs montent assez haut pour m'empêcher de voir l'extérieur.

Ce n'est pas comme si c'était important. Je ne compte pas partir d'ici. Je ne peux pas, et maintenant je n'en ai même plus envie.

Je me sens juste... vide. Je n'ai plus d'utilité, plus de but, juste le sentiment de mourir un peu plus chaque jour qui passe. Plus rien n'a d'importance désormais. Je ne sortirai jamais d'ici.

Le bruit d'une porte qui coulisse me fait tourner les yeux vers l'entrée du bâtiment. Je me redresse légèrement dans mon fauteuil alors que mon cœur fait un bond dans ma poitrine. C'est peut-être le professeur. Je dois me tenir droite pour lui montrer mes progrès, c'est lui qui me l'a demandé. D'une part j'espère qu'en obéissant il ne me fera plus de mal, de l'autre je veux lui montrer que je peux réussir, qu'il ne place pas ses efforts et ses espoirs en moi pour rien.

J'ai commencé à remettre en question ce que je pensais de cet homme. Après tout il a toujours été gentil avec moi. Le vrai responsable de mon malheur est celui qui m'a tiré une balle dans le dos. Le professeur est obligé de me faire du mal pour me réparer, mais je suis sûre que s'il y avait un autre moyen il l'utiliserait sans hésiter. Il s'intéresse à moi. Il me trouve assez importante pour tester sa formule sur moi ; si elle marche je serai inarrêtable, il l'a dit, et s'il l'a dit alors ce doit être vrai.

Je me redresse donc et je force mes lèvres craquelées par la sècheresse à s'étirer en un sourire mais ce n'est pas le professeur qui apparaît. Une autre chaise roulante poussée par un homme sort dans la cour. Une femme est assise dedans, emmitouflée dans des couvertures. Son visage et ses cheveux blonds sont les seuls à en dépasser. Elle ressemble à une poupée de chiffon sans vitalité et sans force. Je ne la reconnais pas.

Je la fixe du regard jusqu'à ce que ses yeux se relèvent vers moi. Elle n'a pas l'air surprise de me voir. Son visage vide d'expression me fait face quelques secondes, puis il retombe sur le côté, dans les couvertures, me laissant la gorge serrée par une émotion indéfinissable. Cette femme, elle n'est...elle est aussi vide que moi. Elle ne ressemble plus qu'à une coquille inhabitée. Elle semble ne rien voir ni ne rien entendre. Les secousses de sa chaise roulantes provoquées par les trouées dans le béton n'ont pas l'air de la déranger. C'est étrange mais j'ai tout de suite l'impression de la comprendre.

Un sentiment de désespoir me prend alors que je vois son infirmier faire demi-tour et entrer à l'intérieur. Elle m'échappe.

« Qui est-ce ? demandé-je d'une voix rauque que je n'ai pas utilisée depuis longtemps.

- C'est Carrie, l'autre patiente du professeur Klein », répond distraitement mon infirmier en me ramenant à l'intérieur.

Je répète son nom en faisant rouler les syllabes sous ma langue. Je ne suis plus seule ici.

Je ne sais pas quoi en penser. D'un côté je suis soulagée de découvrir que quelqu'un d'autre vit le même calvaire, de l'autre je ne veut pas imaginer lui ressembler dans quelques temps. Je ne veux pas avoir l'air si... creuse. Si vide.

Tous les jours, j'attends chaque promenade matinale avec impatience dans l'espoir de revoir Carrie. Elle pourrait être la seule à me comprendre. Plus que tout j'ai aussi grand besoin de parler à quelqu'un. Ma voix n'a plus servi depuis des lustres et je ne suis plus sûre de savoir comment l'utiliser mais si je ne le fais pas je risque de devenir folle.

CerberusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant