Cerberus

Chapitre 58

Pendant de longues secondes nous restons tous dans la même position, à retenir un tir qui pourrait me sauver moi, ou la sauver elle. Beth ne peut pas tirer sans perdre sa seule protection. Peut-être qu'en tuant Chiara elle éliminerait les deux autres, mais si ce n'est pas le cas elle s'assure une mort certaine. Alors que faire ?

C'est elle qui brise le silence en premier, son souffle repoussant régulièrement les mèches rousses qui tombent sur son visage. Quand elle parle, elle le fait d'un ton résigné mais étrangement en paix.

« Ne le dis pas à John, fait-elle, mais je savais que je ne m'en sortirais pas. Je voulais juste t'emporter dans ma chute.

- Personne ici ne doit mourir, l'avertis-je sans bouger, terrifiée à l'idée qu'elle puisse réellement tirer.

- Loïs, reprend-t-elle avec ennui, si tu étais restée à ta place, personne n'aurait dû mourir. Maintenant, c'est trop tard. »

Elle corrige l'angle de son tir et pose l'index sur la gâchette.

« C'est dommage, ajoute-t-elle. J'aimais vraiment Cerberus. »

Alors, et pour la première fois, tout bouge en même temps. Ben et Loïs visent et tirent ensemble tandis que Chiara se propulse sur le côté. Mais elle n'est pas assez rapide. D'après la position de Beth, je comprends immédiatement qu'elle ne pourra pas éviter la balle.

Un éclat rouge m'éblouit alors. Chiara vérifie sa poitrine mais elle est intacte. Elle est vivante. Je suis vivante. Je lève les yeux vers Beth et ce que je vois me pétrifie. Un écran de magie rouge la sépare de Chiara et a empêché la balle de la toucher. En revanche, une tache sombre s'élargit dans son dos et sur sa poitrine.

Le bouclier se dissipe. Beth ferme les yeux et se laisse tomber sur le sol. Je la regarde sans pouvoir bouger, le choc me foudroyant sur place. Au loin, une voix qui appelle l'un de mes noms me fait tourner la tête. Chiara se précipite vers Beth et elle passe ses mains sous sa tête pour la soulever.

La directrice d'ARIES recrache du sang hors de sa bouche et prend une inspiration pénible en toussant. J'écarte de son visage les mèches collées à son front par la sueur, mais mes mains tremblent.

J'ai beau savoir que la moitié de mes souvenirs est fausse et l'autre moitié disparue, Beth m'a réellement aidée après m'avoir libérée de Klein. Il fut un temps où elle et moi étions amies. Mais c'était quand Carrie était encore en vie. C'était il y a trop longtemps pour que la tendresse que j'avais pour elle ne soit plus réduite qu'à l'état de cendres.

Je caresse la joue de Beth avec mon pouce tandis que Ben tient fermement sa main.

« Ça va aller », mens-je sans compassion.

Je pourrais demander où est John, où sont les dossiers manquants, où sont les autres bases d'ARIES. Mais je ne le fais pas. C'est trop tard pour la questionner. Le mieux que je puisse faire, c'est l'accompagner dans la mort comme elle m'a raccompagnée de l'enfer. Je le fais sans amour, mais sans satisfaction. Curieusement, il n'y a plus rien du tout entre nous.

« C'est pour le mieux. »

Beth inspire et expire lentement pour ne pas aggraver sa blessure. Le premier choc passé, son instinct de survie prend déjà le dessus. Si des secours arrivent maintenant, ils pourraient même la sauver.

« Loïs ! » appelle à nouveau la voix.

Chiara se redresse, promène un regard hébété sur le reste du garage et se retrouve face à Steve. Ses yeux sont remplis de peur. Il jette un œil derrière mon épaule pour constater l'état de Beth avant de prendre mon visage dans ses mains pour l'examiner. Le choc m'a laissée incapable de fixer mon regard quelque part alors il m'attire contre lui et referme ses bras sur moi. Hébétée, je le laisse frotter son costume contre ma joue et me broyer les os dans une étreinte trop serrée.