Chapitre 48

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La suite n'est qu'une interminable litanie de cauchemars. Je vois Carrie baignant dans son sang, le corps mutilé, le visage lacéré par des coups de lames et ses yeux morts grand ouverts et tournés vers le ciel, puis Klein allongé sur moi, son nez enfoui dans mon cou, son souffle glacial pulsant contre ma peau. Je le sens dans et hors de moi, tout à la fois, si fort que j'ai l'impression de me fondre complètement dans lui pour ne faire plus qu'un.

Klein disparaît et maintenant je m'enroule comme un serpent autour de Bucky en resserrant mes anneaux lentement jusqu'à l'étouffer. Son visage pâlit tandis qu'il se débat dans mon étreinte avant de retomber mollement en arrière. Ses yeux bleus, révulsés, restent grand ouverts alors que je le relâche pour glisser au loin en l'abandonnant sur le sol, humant la piste de ma prochaine proie.

Face à un miroir, j'ai à nouveau forme humaine. Je sais que c'est moi dans le reflet, j'ai cette certitude absurde seulement possible dans les rêves que c'est bien moi. Pourtant, en y regardant de plus près, la personne en face de moi ne me ressemble pas. Ses yeux ont beau se fermer et se rouvrir au même moment que les miens, je sais qu'elle fait semblant d'être mon reflet.

Je lève la main pour essayer de la piéger. Elle ne se laisse pas avoir et bouge en même temps que moi. Nos mains se rapprochent lentement l'une de l'autre. Je ne suis plus si sûre qu'il s'agisse vraiment d'un miroir... Je tends presque le bras maintenant et je n'ai pas encore touché de surface froide. Je ne pense pas qu'il y ait de miroir. La femme en face de moi imite chacun de mes mouvements pour me le faire croire ; mais j'en serai sûre quand je la toucherai. Pourtant au moment où mes doigts vont entrer en contact avec les siens je suis tirée en arrière par une poigne puissante. Il me suffit de relever les yeux pour reconnaître Klein, dans sa version plus jeune, celle que je connais mieux. Un sentiment paniqué me remplit aussitôt.

Il me traîne par les poignets sur le sol. Je me débats mais il m'assène un coup de poing sur le visage qui me laisse inerte. Debout au-dessus de moi, il attire vers lui Carrie, qui ne réagit pas plus qu'une poupée ne le ferait. Est-elle déjà morte ? Il ne me vient pas à l'idée de me redresser pour l'empêcher de la toucher, l'empêcher de lui faire du mal, pourtant je voudrais en être capable. Je n'ai pas réussi à la protéger de lui ; je ne peux pas supporter de le voir faire courir ses mains dans ses cheveux, dans son dos et le long de son visage.

C'est avec horreur que je me rends compte qu'en réalité, je voudrais être à la place de Carrie.

Une part de moi brûle du désir de le savoir près de moi, de savoir qu'il me préfère, qu'il est fier de moi ; l'autre, paniquée, révulsée, me presse de me relever et de fuir le plus loin possible. Mais pour aller où ? Partout où je suis je l'emmène avec moi, sans arriver à m'en défaire.

Quelqu'un qui rampait dans les ténèbres apparaît soudain. Je reconnais la fille qui faisait semblant d'être mon reflet, mais je me souviens aussi de l'avoir déjà vue ailleurs. Lentement, elle grimpe sur Klein et enroule ses mains autour de son cou. Son visage se durcit, celui de Klein devient rouge. Le souffle coupé, je la regarde faire sans réagir, puis je la reconnais. Je l'ai déjà vue sur une photographie. C'est Chiara Wang, Cerberus. Et elle tue son créateur.

Une douleur lancinante dans ma tête me force à fermer les yeux et quand je les rouvre, Klein a disparu. À sa place, un homme blond se tient debout à côté de Chiara Wang.

Je marche lentement vers eux mais ils semblent s'éloigner. Je m'arrête pour réfléchir puis persiste avec acharnement. Je dois les atteindre. Je me mets à courir et ma vision se réduit uniquement aux deux personnes face à moi. Je tends la main, j'y suis presque ! Encore quelques foulées, la distance se réduit, trois pas, deux pas, un seul...

Je les connais, réalisé-je.

Chiara Wang saisit mon bras droit tandis que l'homme m'attrape par la main et m'attire vers lui. Les ténèbres qui menaçaient de se refermer sur moi nous enveloppent tous les trois, dans un désordre de bras, de jambes, de souffle. La douleur dans ma tête éclate partout dans mon corps, et je ne peux pas m'empêcher de hurler de souffrance en les retrouvant.

Sous la douleur, la compréhension me transperce comme une flèche.

J'ouvre les yeux soudainement et me propulse du sol sur lequel je suis recroquevillée sans complètement comprendre ce qu'il se passe. La force de mon élan me projette contre un mur puis vers le sol à nouveau. Là, le front appuyé contre le métal froid, je laisse la douleur qui irradie de ma tête se répandre dans tout mon corps. Un cri inhumain, bestial, me fait arrondir le dos tandis qu'un violent frisson me traverse de part en part et me fait tomber sur le côté.

Une idée s'impose dans mon esprit, trop rapide pour que je puisse la saisir et me laisse folle de rage. J'y étais presque ! J'avais compris !

Une femme rousse se précipite vers moi et je crois reconnaître Beth. Je hurle et lui lance mon poing dans la figure mais elle le dévie de son bras.

« Loïs ! »

La femme que je croyais être Beth m'attrape par le poignet et me force à la regarder. Je me concentre sur la forme de son visage et réalise que ce n'est pas Beth, mais Wanda.

« J'ai compris qui tu étais vraiment. »

Un éclair de lumière rouge m'aveugle alors et me fait sombrer dans l'inconscience.

CerberusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant