Chapitre 3

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Il est étonnant de constater à quel point la vie semble un jeu facile pour certains et difficile pour d'autres. Certaines personnes semblent être nées dans les meilleures dispositions pour affronter l'existence. Ils ne désirent rien qui soit au-dessus de leurs capacités, ils parviennent à se libérer du temps libre, ils sont de bons camarades de soirées, ils apprécient la bonne nourriture et tombent facilement amoureux. On les voit parfois agacés, mais jamais malheureux. D'autres personnes sont d'éternels inadaptés. Ils ont des aspirations qui les dépassent, ils remettent tout en cause, rien ne leur semble évident, au prix de luttes acharnées ils apprennent à se comporter convenablement en société, car leur naturel les pousse à parler trop ou pas assez, ils sont malheureux en amour, se perdent dans leurs passions, perdent du temps, gâchent leur potentiel, ruminent, s'inquiètent et désespèrent. Tom était de ceux-là.

Ce soir là, une fois rentré chez lui fatigué, il prit une douche pour se relaxer et se fit un dîner sommaire. Il voulait se mettre vite à travailler à l'écriture de son roman avant que la fatigue ne le rattrape. Il s'installa à son bureau et relut ses notes. Il sortit des bouts de papier sur lesquels étaient inscrites des pensées. Il lut tout plusieurs fois avant de mettre ses idées au propre. La quête de Tom c'était de transformer cette sensation de brouillard et de vide qui l'habitait, en clarté et en connaissance. Il consacra une demi-heure à écrire un paragraphe sur l'impermanence des émotions, puis il fit une pause, quitta son bureau, but un verre d'eau et se regarda dans le miroir.

Tom avait quarante ans. Il mesurait un bon mètre quatre-vingt. Ses cheveux, mal coiffés, étaient encore brun foncé et quelques cheveux blancs commençaient à faire leur apparition. Ses yeux étaient vifs et inquiets. Il avait un visage agréable, de larges épaules et une silhouette élancée. Il s'habillait de manière très classique, pull marin, jean propre et Timberland. Souvent perdu dans ses pensées, on le voyait froncer les sourcils, mais il souriait souvent et n'hésitez jamais à lancer une plaisanterie. Ses gestes rapides trahissaient son impatience. Il aurait souhaité être plus rond, plus doux, plus calme, mais la vie en avait décidé autrement, on voyait au premier regard qu'il était anxieux. Le téléphone sonna.

— Allo, dit Tom.

— Salut c'est Jean, répondit son interlocuteur. On va boire un verre ce soir avec Suzanne, Arthur et compagnie, ça te dit de te joindre à nous.

— Ha, je suis face à un cas de conscience, là ! Je suis en train d'écrire et je suis super concentré... Je te dirais bien oui, mais je crois que ce n'est pas raisonnable.

— Je ne veux pas te mettre la pression, mais c'est la troisième fois que tu déclines mes invitations. Allez, viens te changer les idées, ça te fera du bien.

— Oui, je sais... tu as raison... Bon, j'écris encore un peu et je vous rejoins dès que j'ai fini, ça marche ?

— D'accord, mais ne tarde pas trop, hein ! Je sais que c'est important pour toi d'avancer dans ton roman, et je ne veux pas te dévoyer, mais c'est juste que tu nous manques, on aimerait te voir plus souvent.

— Oui, moi aussi j'ai envie de vous voir. Vous êtes où ?

— Chez Suzanne.

— D'accord, Satan. Allez, j'écris vite et je vous rejoins.

— Ça marche. À tout de suite.

Tom doutait. Comment concilier vie professionnelle, vie affective et création artistique ? La vie professionnelle avait assez peu d'importance, il le savait. La philosophie lui avait appris que la chose la plus importante dans la vie c'était les relations humaines. Il valait mieux tomber amoureux et être proche de ses amis plutôt que d'être seul mais d'accéder à la reconnaissance artistique. L'ennui c'est qu'un autre pan de la philosophie croyait en l'importance d'être mû par quelque chose, de nourrir une passion particulière, de se transcender à travers l'art, d'offrir du sens et de la beauté aux autres. Plutôt que de trancher entre ces deux points de vue, Tom se fit une promesse, il allait consacrer plus de temps à ses amis, et il devait avoir terminé son roman dans les trois mois.

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