Chapitre 45

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Christian Park contemplait sa prise. Il était parvenu à empêcher le sabotage de son invention, à neutraliser le journaliste qui lui avait fait du tort et il avait maintenant à sa disposition ses amis, son ex petite copine et ses parents pour le faire souffrir. Le progrès scientifique peut parfois sembler cruel, dit-il en lançant une vidéo sur son écran et en la montrant à Tom, Jean, Hervé, Béatrice, Claire et Sarah — Pascal était toujours endormi. Laissez-moi vous montrer par où il a fallu en passer avant que BeCalm soit opérationnel. Des images tirées d'un caméscope rudimentaire leur dévoila alors le premier cobaye du Prototype A, d'abord un homme assis derrière un bureau se vit remettre le casque et lorsque Christian Park activa l'invention, l'homme bondit de sa chaise, se jeta contre un mur, se contorsionna et finit par tomber au sol, mort ; puis une autre vidéo dévoila le cobaye du Prototype B, c'était une femme dont le visage exprimait l'effroi, ses yeux étaient révulsés et sa tête inerte finit par s'effondrer sur la table ; Prototype C, la personne était allongée sur un lit et lorsque le système fut enclenché, son corps tout entier se raidit comme sous l'effet d'une électrocution, puis, à nouveau, la mort ; Prototype D, dans des hurlements à peine humains un jeune homme saisit un presse-papier et réduisit son propre visage en bouilli ; Prototype E, un SDF subit une agonie de cinq minutes avant de rendre l'âme.

— C'est pas très beau à voir, dit Christian Park.

— Pourquoi est-ce que vous nous montrez cela ? demanda Tom.

— À des fins éducatives. Vous êtes trop nombreux à penser que le progrès est quelque chose de doux et pur, mais il n'en est rien, pour améliorer ses conditions de vie, l'humanité a toujours eu recours à des moyens, disons, sanglants. Regardez l'industrie alimentaire par exemple, tous ces cochons, toutes ces poules, toutes ces vaches ou ces oies qui sont élevés en batteries, sélectionnés, broyés, atrophiés, gavés, découpés en morceau pour le simple plaisir de notre palais. Pensez à toutes ces personnes qui sont mortes pour construire les pyramides ou les cathédrales, aux pionniers de la navigation, de l'aéronautique, tous ces morts, partout, tout le temps... Et qui pense à les pleurer aujourd'hui ? Personne. Parce que grâce à eux nous pouvons manger, prier, voyager, explorer. La civilisation repose sur un charnier, c'est la règle du jeu, il faut l'accepter.

— Vous êtes un monstre.

— Mais non Epstein, justement, c'est ce que j'essaye de vous expliquer. Vous ne comprenez rien. Chaque vie perdue nous est rendue au centuple.

En voyant diffuser ces images insoutenables et en écoutant les divagations de Christian Park, Tom repensa à l'attaque qu'il avait subie en servant de cobaye pour Prototype F, il mesurait aujourd'hui la chance qu'il avait eue d'être le premier à ne pas y avoir succombé, il comprenait pourquoi sa vie avait revêtu autant d'importance aux yeux de Bernard Allié, et il repensa aussi au voyage qu'il avait fait dans sa conscience ce jour-là, ce voyage mystique entre le passé, le présent et le futur, cette expérience à la grâce insoutenable et qui lui avait fait prendre conscience que rien n'avait plus de valeur que la vie elle-même, il n'y a de pire crime que d'ôter la vie, qu'elle soit humaine ou animal, chaque chose qui vit, qui ressent ou qui pense est un monde, peu importe le progrès, peu importe les voyages dans l'espace, peu importe la fission nucléaire, il n'y a rien de plus grave en ce monde que d'ôter la vie, et Tom se rappela la promesse qu'il s'était faite, celle de consacrer son existence à alléger la souffrance des autres.

Mais comment aider qui que ce soit dans la position dans laquelle il se trouvait ? Grâce à son écran, Christian Park pouvait leur cramer le cerveau à tous, le gardien derrière Tom le maîtrisait grâce à une clef de bras et la salle des serveurs était trois étages plus bas. Que pouvait-il faire ? Comment respecter sa promesse ? Comment agir ? Restait-il le moindre espoir ou était-ce déjà trop tard ? Tom essayait de se concentrer, mais impossible d'être inspiré en voyant en face de lui tous ceux qu'il aimait condamnés par sa faute. Pourtant il devait trouver une solution. Mais laquelle ? Soudain, il repensa au tournevis qui était dans la poche de son uniforme, celui dont il avait besoin pour retirer la plaque en métal qui cachait le module dans la salle des serveurs. Le gardien n'avait pas pensé à l'en déposséder. Une idée vite frapper son esprit, au prochain relâchement du gardien, dès que Tom sentirait la pression de ses mains se relâcher ne serait-ce qu'un tout petit peu, il saisirait le tournevis et le planterait dans la cuisse de son adversaire.

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