Chapitre 33

264 40 3
                                        

Alors que Tom s'enfonçait toujours plus profond dans ses réflexions, son téléphone sonna, c'était Claire, l'esprit engourdi, il n'eut pas le temps de se rappeler les raisons pour lesquelles il avait décidé de la garder loin de lui et il décrocha. Elle appelait pour faire la paix, mais il prit cela comme un signe et lui raconta tout ce qui venait de se passer, l'agression de Bernard Allié, la nuit caché dans un jardin, l'impossibilité d'aller voir la police ou de se réfugier chez lui. Elle lui demanda où il était et elle lui proposa de venir le chercher. En arrivant aux abords du square elle lui fit signe de la rejoindre dans sa voiture, puis elle roula en direction de chez elle.

— J'ai plein de choses à te raconter, dit Claire.

— Je t'écoute.

— La dernière fois qu'on s'est vu, tu es parti fâché parce que tu pensais que je voulais t'empêcher d'écrire ton article, mais tu ne m'as pas laissé le temps de te parler et je voulais au contraire t'expliquer que j'étais dans ton camp.

— Mon camp ? On faisait une balle au prisonnier ?

— Ah ah ! C'est pas ça, mais en parallèle de mes cours de philo, je fais partie d'une commission qui conseille l'État et les institutions sur les nouvelles questions soulevées par les progrès de la médecine, les nouvelles technologiques, le transhumanisme, les voitures autonomes, etc. Cela fait des mois que je suis au courant du nouveau projet de Christian Park et notre commission cherchait à analyser la viabilité ou non de son invention. Suite à nos recherches, avec le peu de documents que nous avons pu nous procurer, mais aussi grâce à ton article, nous étions arrivés à la conclusion qu'il fallait empêcher le développement de cette invention, mais comme par miracle, la veille de l'annonce le statut de notre commission a été dévalué et nous n'avons plus aucune existence légale vis-à-vis de l'État.

— Autrement dit, les résultats de vos recherches n'ont pas été pris en compte.

— C'est pire que cela, ils n'ont même pas été entendus. Il s'agit évidemment d'une manipulation de Park qui a dû verser des pots-de-vin pour nous mettre sur la touche.

— Putain j'y crois pas.

— Je voulais simplement parler de tout ça avec toi l'autre soir et c'est la raison pour laquelle je voulais en savoir plus sur ton nouvel article et sur les infos dont tu disposais.

— Je suis désolé, je ne savais pas. L'ennui c'est que maintenant tous mes documents, toutes mes preuves, sont chez Bernard et il m'est impossible de les récupérer. L'autre souci, c'est qu'en étant chez Bernard, j'étais à l'abri de Park, mais maintenant c'est fini tout ça et il ne va pas tarder à me mettre la main dessus. Plus d'article, plus de planque, tout vient de tomber à l'eau.

— Viens te reposer à la main, on verra ce qu'on fera plus tard.

Plus d'un an auparavant, Christian Park en personne était venu consulter Claire pour l'interroger sur les questions éthiques que soulèverait son invention. Claire était une professeur de philosophie morale reconnue et ses travaux dans le domaine éthique étaient écoutés et respectés. La commission dont elle faisait partie livrait régulièrement le fruit de ses recherches au Président sur des sujets allant du clonage, à la protection de la vie privée jusqu'aux nouvelles théories du genre. Lors de ce rendez-vous, il était apparu à Claire que l'objectif de Christian Park n'était pas de savoir s'il était moral ou non de développer son invention, mais plutôt d'apprendre le plus tôt possible les arguments qu'on lui opposerait au moment de la sortie de son produit pour que ses équipes de communication soient en mesure de les balayer de la manière la plus convaincante qui soit. Après s'être penché sur le sujet théoriquement, et avant même que le produit n'existe, Claire avait envoyé un rapport au milliardaire dans lequel elle l'encourageait à cesser immédiatement le développement de son invention. Son argument : une entreprise ne devrait jamais, ne serait-ce que partiellement, prendre possession du cerveau de ses consommateurs.

Arrivé chez Claire, Tom se laissa tomber sur le canapé du salon. Un frisson parcourut son corps, il ne parvenait pas à se réchauffer. Les révélations de Claire jetaient une lumière nouvelle à la situation, il se sentait toujours aussi abattu, mais une flamme venait de s'allumer, il n'était pas seul et son combat avait un sens, il n'avait certes pas l'énergie suffisante pour entreprendre la moindre action, mais il avait du moins l'impression de connaître la voie à suivre. Claire lui proposa de prendre une douche, il accepta avec plaisir et passa quinze bonnes minutes dans la salle de bain jusqu'à ce que son corps se réchauffe et que ses muscles se détendent. Une fois séché, il vit que Claire avait déposé des vêtements propres sur une chaise à son attention, puis en descendant dans le salon elle lui proposa de manger le sandwich qu'elle venait de lui préparer et l'invita enfin à aller faire une sieste, il refusa mollement avant de céder à son invitation. Malgré l'angoisse suscitée par sa nouvelle situation, il s'endormit en moins d'une minute. Son corps venait de prendre le dessus sur son intellect.

L'inventionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant