Chapitre 41

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— Je crois que j'ai trouvé le remède, dit Béatrice Moreau en ouvrant la porte de son bureau à Tom.

— Déjà ? répondit-il.

— Oui, je ne peux pas en être certaine, mais il semblerait que j'ai trouvé le moyen d'inverser les effets du Prototype F sur votre cerveau.

— Est-ce que c'est sans risque ? Parce que je vous avoue que je suis un peu lassé qu'on mette ces doigts dans mon cerveau.

— A priori oui, ça nécessite seulement une très légère opération.

— Très légère ? Je ne suis pas sûr qu'on puisse utiliser l'expression très légère en parlant d'une opération du cerveau. C'est comme une très légère amputation de la jambe, ça n'existe pas.

— Je vous en prie, acceptez, c'est le seul moyen pour vous de retrouver une vie normale.

— De toute façon, avec tous ces gens qui utilisent BeCalm, vous allez sans doute devoir en faire un paquet de ces opérations...

— Alors, c'est oui ?

— C'est d'accord. Et si je meurs, faites-vous plaisir, désossez-moi, coupez-moi en tranche, faites des grelots avec mes couilles, je n'en ai plus rien à faire.

L'opération eut lieu dès le lendemain matin. Tom se rendit à l'hôpital et après une anesthésie générale on l'emmena au bloc opératoire où un chirurgien assisté d'un robot exécuta les mouvements que Béatrice Moreau lui dictait. Il commença par faire une légère incision au-dessus du front puis à l'aide d'une seringue et d'un laser il effectua différentes injections, nettoyages et sutures. L'opération dura moins de dix minutes, et deux heures plus tard Tom se réveillait dans une des chambres de l'hôpital. Béatrice Moreau était à ses côtés. L'opération s'est bien passée, lui dit-elle. Vous devriez vous sentir mieux dès demain. Reposez-vous. Tom, un pied dans le réel et l'autre dans les songes, lui sourit et voulut la remercier, mais aucun son ne sortit de sa bouche car déjà il avait replongé dans le sommeil.

Deux jours plus tard, les effets bénéfiques de l'opération commencèrent à se faire ressentir et Tom eut l'impression de respirer à nouveau après une plongée en apnée de six mois, il n'était plus prisonnier à l'intérieur de lui-même, ses yeux pouvaient à nouveau voir le monde, il était là, le corps bien ancré sur la Terre. De retour chez lui, il reçut sur sa boîte mail un message de Bernard Allié. Bonjour Tom, j'ai programmé ce message pour que vous le receviez automatiquement si je ne touchais plus à mon ordinateur pendant un mois, ce qui, chez moi, signifierait que je suis mort. C'est à vous que je fais appel car vous êtes la meilleure personne que j'ai jamais rencontrée. Vous êtes tout ce que je ne suis pas, un idéaliste qui croie à l'empathie et au progrès humain, là où je ne suis moi qu'un ambitieux, sans attache et obsédé par le progrès technique. Il faut que vous sachiez que le casque que j'ai créé ne sert pas simplement à empêcher la dépression, mais aussi à récolter les données les plus intimes sur ses utilisateurs, ainsi qu'à avoir le contrôle sur leurs actions. Aujourd'hui, je m'en rends compte, BeCalm est à la fois l'arme la plus perverse, la plus dangereuse et la plus incontrôlable jamais créée. Pourtant, il existe un moyen de la détruire. Le module que j'ai placé à l'époque dans la salle des serveurs de la Park Industry Tower dans le but de ralentir le travail de Christian Park, contient également un bouton qui, une fois enclenché, signerait la fin de BeCalm. Mon système est parfait et personne d'autre que moi ne sait comment je l'ai fabriqué, c'est pourquoi, si vous le détruisez, personne ne pourra jamais le relancer. C'est à vous seul que je confie cette mission. Retournez dans la salle des serveurs et mettez fin à cette folie. Je compte sur vous. Adieu et pardon pour le mal que je vous ai fait, Bernard Allié. En pièce jointe, Bernard avait transmis à Tom des documents prouvant que BeCalm était bien l'instrument de manipulation qu'il venait de décrire.

L'idée de créer un moyen de détruire sa propre invention avait germé dans l'esprit de Bernard à l'époque où Tom était venu vivre chez lui. Ils n'avaient que très peu échangé, pourtant la ferveur du journaliste ainsi que sa soif de vérité avaient réveillé quelque chose en Bernard. À l'époque, il travaillait encore à la conception de ses différents prototypes, et il était lui-même animé par une énergie inépuisable, il savait que cette invention serait l'aboutissement de toute sa carrière, de tous ses sacrifices et de toutes humiliations, mais observant son propre comportement, conscient qu'il était en train de sombrer dans des eaux sombres, Bernard avait créé ce module pour court-circuiter sa propre création. Il n'était pas assez fort pour interrompre son travail, mais il avait voulu laisser une possibilité de revenir en arrière, puis, quand il avait compris que sa fin était proche, quand il avait pu juger de la différence fondamentale entre Christian Park et Tom Epstein, il s'était décidé à programmer ce message qui s'enverrait automatiquement. Désormais, Tom était la seule personne au monde à pouvoir neutraliser BeCalm.

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