Chapitre 43

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Lors de la première mission pour introduire le module dans la salle des serveurs de la Park Industry Tower, Tom avait pu compter sur l'aide de Bernard Allié à qui l'accès à cette salle était autorisée, mais maintenant que celui-ci était mort, il allait falloir ruser. Pour mettre son plan à exécution, Tom fit quelque chose dont il ne se croyait pas capable, il demanda de l'aide à toutes les personnes de son entourage. Il les appela, leur expliqua la situation et confia un rôle clef à chacun d'entre eux, à sa grande surprise, et en dépit des risques qu'ils encouraient, tout le monde accepta de l'aider. Aussi, Jean eut pour mission de soudoyer un gardien de la Park Industry Tower dans le but de se procurer un uniforme ; Hervé reçut les pièces jointes rattachées au mail de Bernard Allié et s'engagea à révéler la véritable nature de BeCalm dans un numéro spécial de L'Indépendant ; quant à Béatrice Moreau elle mit au point une cellule d'accueil pour venir en aide à toutes les victimes potentielles que BeCalm avait ou allait provoquer. Mais le plus gros de l'opération reposait sur l'audace de Claire qui prit rendez-vous avec Christian Park sous prétexte de lui présenter son mea culpa en personne, mais dont le véritable objectif était de subtiliser le Pass qui donnait au milliardaire l'accès à toutes les salles de sa tour. En dépit de tous ces risques, chacun parvint à accomplir sa mission. Il ne restait plus à Tom qu'à se déguiser en gardien, le Pass de Christian Park attaché à sa ceinture, puis à s'introduire dans la salle des serveurs et à enclencher le bouton du module qui annihilerait BeCalm définitivement. Avant de se rendre là bas, il passa voir ses parents et discuta avec sa mère dans la cuisine.

— Quand j'étais petit, je ressemblais à quoi ? demanda Tom.

— Tu étais très mignon, répondit Sarah.

— Non, je veux dire, est-ce que j'étais grincheux, solitaire ou caractériel...?

— Pas du tout, au contraire, tu as toujours eu le sens des autres, tu étais très sensible à leurs émotions, tu ressentais tout. Dans les discussions entre adultes tu parvenais à sentir s'il y avait des non-dits, des agressions cachées ou de l'ironie.

— Et est-ce que j'étais gentil avec vous ?

— Mais bien sûr. Tu étais plein d'énergie et de bonne humeur, tu courrais partout et tu t'enthousiasmais d'un rien. C'est seulement à l'adolescence que tu as commencé à devenir l'ours mal léché que tu es aujourd'hui.

— Je suis un ours mal léché ?

— Non, pas avec nous. Mais ton père et moi on voit bien que tu luttes à trouver ta place dans ce monde. On voit bien que tu souffres. Seulement, on ne sait pas comment t'aider.

— C'est justement parce que je suis trop sensible, non ?

— Oui, c'est ce qu'on se dit. Mais on aimerait quand même te voir heureux. Tu le mérites tellement.

— Merci maman.

— Je ne dis pas ça pour te faire plaisir. Je le pense vraiment.

— Eh bien, même si tu le penses, merci quand même.

— De rien.

— Je te promets que les choses vont s'améliorer. Je fais tout pour.

Il a toujours été très différent des autres enfants, pensa Sarah. Toute sa vie il avait été asynchrone, ou bien précoce ou bien immature, ou bien trop rapide ou bien trop lent, trop lucide ou trop naïf, il déclenchait chez les autres des sentiments extrêmes, on l'adorait ou on le détestait, il n'y avait pas de mesure chez cet enfant-là. Elle s'était souvent demandé d'où venait cette différence. Était-ce l'éducation qu'elle lui avait donnée ? Était-ce dans ses gènes ? Était-ce le traumatisme d'être né orphelin ? Les causes, elle ne les savait pas, mais Tom avait toujours été cet être à part, cette existence originale, extravertie, tourbillonnante et apeurée.

Qu'est-ce que cela fait d'être différent ? La différence crée l'ostracisme, si l'on n'est pas conforme, alors on est discriminé parce que la société n'aime pas la variété, pour elle, il ne peut y avoir qu'une seule façon d'être, de penser et de se comporter et ce qui dépasse doit être corrigé. La pression sociale n'a que faire des impératifs moraux, on n'est pas rejeté parce qu'on fait le mal, on est rejeté par ce qu'on fait trop de mal, c'est le trop qui compte ici car, au fond, il est toléré de faire un peu le mal, tout le monde le fait. Aussi la société accepte qu'on fasse le bien, mais il est défendu de faire trop de bien, parce qu'alors on vous accuse de vouloir vous donner bonne conscience ; si vous avez du succès, c'est sans doute mérité, mais si vous avez trop de succès, c'est que vous êtes corrompu ; si vous êtes dynamique, on vous trouvera inspirant, mais si vous êtes trop dynamique, on vous trouvera épuisant. Et c'est ainsi que celui qui est différent est encouragé toute sa vie à devenir comme les autres s'il ne veut pas finir seul.

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