Chapitre 32

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Pendant des heures, Tom fut incapable de toute action. Caché dans ce jardin qu'il ne connaissait pas, chez des gens qu'il ne connaissait pas, dans un quartier qu'il ne connaissait pas, il attendait qu'une solution se présente à lui. Il avait faim, il avait froid et il avait peur. Jamais de toute sa vie il ne s'était senti aussi perdu. Jamais de sa vie il ne s'était fait agresser par son hôte. Jamais de sa vie il n'avait été menacé par l'un des milliardaires les plus puissants du monde. Toute forme de joie avait déserté son cœur, son énergie vitale semblait l'avoir abandonné pour toujours.

Aux alentours de sept heures du matin, quelqu'un ouvrit les volets de la maison où il se cachait, les lumières s'allumèrent une à une et il aperçut des silhouettes s'animer à l'intérieur. C'était le signal que son esprit attendait pour se remettre en marche, il ne pouvait pas rester dans ce jardin plus longtemps au risque d'effrayer les gens qui y vivaient et il ne fallait surtout pas qu'ils appellent la police, Tom ne pouvait pas se permettre d'attirer l'attention sur lui. Cela faisait des heures qu'il se tenait accroupi, recroquevillé sur lui-même et lorsqu'il se releva ses articulations crispées et froides le firent souffrir. Il courut jusqu'à la grille du jardin en jetant des regards anxieux en direction de la maison, puis il s'élança contre la grille, ce qui provoqua une explosion de grincements métalliques, puis il passa par-dessus, se laissa tomber sur le trottoir et se mit à courir en direction d'un autre lieu où se cacher. Cinq minutes plus tard, il était dans un petit square.

— Vous n'auriez pas une clope ? lui demanda un SDF.

— Non, désolé je ne fume pas, répondit Tom.

— Vous n'auriez pas une pièce ?

— Heu... si... Attendez... Voilà.

— Merci. Vous n'avez pas l'air dans votre assiette.

— C'est le moins qu'on puisse dire.

— Madame vous a mis dehors ?

— C'est un peu plus compliqué que ça.

— Vous savez, il y a parfois du bon à se retrouver vraiment dans la merde.

— Vous pensez ?

— J'en suis sûr. Moi aussi avant j'avais une femme, un boulot, des responsabilités et des factures à payer. J'étais stressé tout le temps, j'étais insomniaque et je picolais. Je pensais que pour être heureux il fallait une maison, une voiture, manger au restaurant, partir en vacances et tout ça. Et puis un jour tout s'est barré en couille, j'étais terrifié, j'ai perdu tout ce que j'avais mis des années à construire, ma femme est partie, je me suis fait virer, j'ai dû quitter mon appart', tout. À l'époque, c'était la chose la pire qui pouvait m'arriver, je n'avais plus rien et je pensais au suicide tous les jours. Puis il y a eu ma première nuit dehors, puis la première semaine, puis le premier mois, et pour une raison obscure je m'accrochais à la vie, j'aurais pu sauter d'un pont, m'ouvrir les veines, me jeter sous le métro, mais je ne l'ai pas fait, ma vie était en lambeaux, je n'avais plus d'amis, plus de boulot, plus de lit dans lequel dormir, je n'avais plus rien et je me suis mis à vivre comme un animal, fonctionnant à l'instinct, boire, manger, dormir. Et soudain quelque chose a changé à moi, je me suis rendu compte que pour la première fois depuis longtemps je me sentais heureux, la seule chose qui me manquait c'était le contact avec les gens, mais petit à petit je me suis fait des compagnons de fortunes et maintenant je peux vous le dire, je me sens libre et heureux. Ça vous paraît bizarre, hein ? Vous pensez que je n'ai plus toute ma tête, ou que j'essaye de me convaincre moi-même, mais croyez-moi, je suis heureux. Je vis comme un moine, je ne picole pas, je marche toute la journée pour rester en forme, je n'ai aucune possession et je mange ce qu'on veut bien m'offrir. La seule chose que j'ai à craindre c'est la maladie. Mais ne sommes-nous pas tous égaux face à elle ? Je mourrai sans doute plus jeune que la moyenne, mais au moins j'aurai apprécié ma vie.

Les gens sont étonnants, pensa Tom. Autant d'individus, autant de points de vue. Lui qui passait sa vie à réfléchir, à lire, à écrire, à théoriser, à échanger des idées avec ses amis à la recherche d'une certaine forme de vérité, voilà que cet inconnu venait lui faire une leçon de vie dans un square. Il ne savait pas quoi penser de tout cela. Ce n'est pas parce que ce SDF prétendait être heureux que cela était forcément vrai. Et s'il disait vrai, se retrouver à la rue l'avait peut-être aidé lui, mais ça ne voulait pas dire que cela était une solution pour tout le monde. Mais s'il avait raison ? Ce n'était pas la première fois que Tom entendait ce discours, c'est la vie de millions de moins bouddhistes, ces gens vivent de l'aumône, ne possèdent rien, passent une grande partie de leur journée à méditer et personne ne pense à les plaindre.

Des rayons de soleil commentèrent à illuminer le square d'une lumière douce, le SDF sortit de son sac une boîte de gâteaux secs et en proposa à Tom. Manger lui fit du bien et il commença à se réchauffer, le SDF lui dit au revoir, lui souhaita une bonne journée et reprit sa route. Tom se laissa tomber sur un banc et resta silencieux, il regardait un point invisible en face de lui, son corps était là mais son esprit était ailleurs, ses émotions négatives s'en étaient allées et il se sentait étonnamment calme, pour la première fois de sa vie il envisageait de renoncer à tout, renoncer aux désirs qui le faisaient souffrir, renoncer à la pression sociale, à l'adversité, au doute et à toutes ses peurs.

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