L'homme se mit à courir sur le parking de l'hôpital. Il était grand et son ventre passait par-dessus sa ceinture. Il avait une cinquantaine d'années et avait l'air d'un ancien sportif, les muscles étaient encore là, mais recouvert de graisse. Dans le passé il avait sûrement été lutteur ou boxeur. Tout chez lui paraissait épais, ses arcades sourcilières, ses oreilles, son nez, sa bouche, tout était plat et cartilagineux. Ses mains et ses doigts étaient gigantesques. Alors qu'il courait, son costume ballottait dans tous les sens. Un pan de sa chemise blanche dépassait de son pantalon, son pantalon gris semblait prêt à tomber sur ses chevilles, le lacet d'une de ses chaussures était défait. Mais derrière cette apparente allure d'ogre, le visage de Bernard exprimait la bonté et ses manières étaient douces.
Il arriva à l'accueil de l'hôpital essoufflé. La secrétaire était au téléphone. Il chercha à accrocher son regard pour lui signifier qu'il y avait urgence. Elle mit son téléphone de côté et lui demanda où il souhaitait aller. La chambre de Tom Epstein. Elle lui expliqua comment y aller. Bernard emprunta le couloir à sa gauche et se mit à nouveau à courir, puis il appela l'ascenseur, les portes s'ouvrirent et il pressa le bouton du cinquième étage. En sortant il se retrouva dans un hall qui menait sur quatre couloirs. Pour ne pas perdre de temps, il se dirigea vers une infirmière et demanda la chambre 547, la femme la lui indiqua, Bernard reprit sa course. Quelques secondes plus tard, il se tenait derrière la porte de la chambre de Tom. Il prit un instant pour reprendre son souffle et remettre de l'ordre dans sa tenue. Puis il frappa, attendit une réponse, et entra.
— Bonjour, dit Bernard, je suis envoyé par Christian Park.
— Bonjour, répondit Tom.
— Je m'appelle Bernard Allié et j'ai appris ce qui vous était arrivé.
— Comment avez-vous su que quelque chose m'était arrivé ?
— Je vais être honnête avec vous, nous avons constaté que vous ne portiez plus Prototype F, une puce GPS était installée dedans, ce qui nous a menés jusqu'à votre ami Jean. Je tiens à préciser que j'ai toujours été contre l'idée de cette puce GPS. En arrivant chez votre ami ce matin, il m'a expliqué que vous aviez fait une attaque et que vous étiez ici. Je tiens à vous dire au nom de toute l'équipe que je suis vraiment désolé de ce qui vous est arrivé et s'il existe un lien entre Prototype F et l'accident que vous avez subi, je m'occuperais personnellement de réparer le préjudice.
— Je vous remercie Monsieur. À vrai dire, on ne sait pas encore exactement ce qui s'est passé, et hormis mon état de fatigue lié au traumatisme que j'ai subi, les médecins ne trouvent rien d'anormal dans mes analyses.
— Tant mieux, tant mieux...
— J'ajoute que pour le moment cette expérience semble plutôt m'avoir apporté quelque chose... En revanche, je vais vous demander de partir maintenant, je crois que j'ai besoin de solitude.
— Bien sûr, je ne vous prends pas plus de temps. Je suis heureux de voir que vous vous portez bien. Tenez, voici ma carte, s'il y a le moindre problème, appelez-moi.
— OK, merci.
— Faites-le vraiment, je suis là pour vous.
— Promis, dit Tom en prenant la carte et en la plaçant à l'intérieur de son carnet. Au revoir Monsieur.
Tom fut amusé par cette rencontre. L'allure de Bernard Allié ainsi que ses manières lui rappelèrent sa rencontre avec Jean vingt ans auparavant. Tom venait d'entamer ses études de philosophie et pendant un cours d'éthique, un grand brun en veste de jean vint s'asseoir à côté de lui. Il était aimable, empoté. Ils s'étaient salués poliment et au bout de dix minutes, Jean avait lâché une plaisanterie qui fit sourire Tom. Cinq minutes plus tard, c'était au tour de Tom de se moquer du professeur pour le plus grand plaisir de Jean. Ils passèrent toute l'heure à tâcher de se séduire sur le plan de l'humour. Depuis ce jour-là, ils ne s'étaient plus quittés. Et aujourd'hui, Tom trouvait qu'il y avait quelque chose de Jean en ce Bernard Allié.
Pour la première fois depuis qu'il était à l'hôpital, Tom eut envie d'uriner. Il souleva sa couverture, pivota sur son lit, et posa les pieds par terre. Pour le moment, tout se passait bien. Il marcha jusqu'aux toilettes, soulagea sa vessie et tira la chasse d'eau. Puis il se regarda dans le miroir, son teint était bon, ses yeux clairs, il passa sa main sur son visage, se redressa, en dépit de sa chemise d'hôpital et de la lumière blafarde, il avait l'air en forme. Tom se sentait bien, son reflet dans le miroir lui renvoyait une image plutôt rassurante et les médecins n'avaient rien trouvé d'anormal dans ses analyses. Il ne voyait donc aucune raison de rester plus longtemps ici. Il demanderait à quitter l'hôpital aujourd'hui même.
VOUS LISEZ
L'invention
Mystery / ThrillerTom Epstein est journaliste. Un jour son patron l'envoie réaliser une interview du milliardaire Christian Park. Ce dernier lui fait essayer sa nouvelle invention révolutionnaire : un casque censé lutter contre la dépression. Mais à partir de là les...