Chapitre 12

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Quelques minutes plus tard, trois ambulanciers sonnaient à la porte de Jean. Tom était toujours étendu sur le sol, les yeux ouverts, mais incapable de bouger ou de communiquer. Les ambulanciers demandèrent ce qui s'était passé. Jean expliqua la situation en omettant de dire que son ami portait à ce moment-là un casque développé par Christian Park. Avaient-ils bu ? Non. Avaient-ils consommé des stupéfiants ? Non plus. Les trois hommes déposèrent Tom sur une civière, puis descendirent les quatre étages en direction de l'ambulance qui attendait devant la porte de l'immeuble, gyrophares allumés. Jean ne fut pas autorisé à monter avec eux, mais il courut jusqu'à sa propre voiture et roula en direction de l'hôpital.

Quand il reprit contact avec le monde réel, Tom était allongé dans le lit d'une chambre d'hôpital. Il avait des cathéters dans les bras et on pouvait entendre le léger murmure des machines autour de lui qui analysaient sa tension, sa respiration et même son activité cérébrale. Pour la première fois depuis des heures il était capable de ressentir son corps, la soif, l'inconfort, des tensions à la nuque. Pourtant il avait été conscient durant le trajet vers l'hôpital, pendant que les médecins avaient pris soin de lui et lorsqu'on l'avait emmené dans cette chambre. Mais pendant tout ce temps, il était ailleurs, voguant à travers sa conscience, ne prêtant pas plus d'importance à ce qui avait lieu maintenant qu'à ce qui s'était produit trente ans plus tôt. Un médecin entra dans la chambre, c'était une femme d'une cinquantaine d'années.

— Bonjour Monsieur, je suis le docteur Moreau, je suis votre neurologue, est-ce que vous pouvez parler ? demanda-t-elle.

— Oui, répondit Tom.

— Comment vous sentez-vous ?

— Bien.

— Vous savez ce qui vous est arrivé ?

— Pas vraiment. Je comptais sur vous pour me le dire.

— J'ai bien peur de ne pas en savoir plus que vous. Je voulais justement que vous me décriviez ce qui s'est passé, ce que vous avez ressenti. Vous aviez les yeux ouverts pendant tout le long, mais vous ne sembliez pas capable de communiquer avec nous. Est-ce que vous vous souvenez de tout cela ?

— Oui.

— Vous nous voyiez pendant tout le long ?

— Oui.

— Pourtant vous ne répondiez pas à nos questions. Ni parole ni mouvement, fût-ce de l'œil.

— Oui, j'étais ici et ailleurs, j'avais du mal à fixer mon attention sur vous.

— Aviez-vous conscience d'être en danger ?

— Pas vraiment. Je voyais bien que vous aviez l'air inquiet, mais moi je ne l'étais pas. Est-ce que vous avez détecté quelque chose de grave ?

— Pas le moins du monde. On a pensé à un accident vasculaire cérébral, mais ce n'est pas ça. On a pensé à un bad trip, mais on n'a rien trouvé dans votre sang. Pour le moment, on ne sait rien de ce qui vous est arrivé.

Comment lui expliquer cela ? pensa Tom. C'était presque impossible. L'intensité de cette expérience, la profusion de pensées et d'émotions qu'il avait ressenties à ce moment-là étaient si vastes qu'il lui semblait impossible de trouver les mots pour en parler. Tout ce qu'il pouvait dire c'est qu'il avait éprouvé une expérience existentielle unique, probablement proche de ce que certains moines bouddhistes décrivent lorsqu'ils parlent du nirvana, mais comment savoir ? Comment comparer son expérience avec la leur ? Tom sentait qu'il avait ressenti quelque chose que ni la méditation, ni les expériences chamaniques, ni la prise de LSD ou de quelconque autre drogue ne pouvaient provoquer. Il avait eu conscience de l'univers, de la vie, de lui-même et de l'ensemble de l'humanité depuis la nuit des temps.

Observant son état de fatigue, le docteur Moreau encouragea Tom à se reposer, puis elle quitta la pièce. Dans le couloir, Jean l'interpella, il demanda s'il était autorisé à entrer dans la chambre. La médecin se montra d'abord réticente, mais face à l'insistance toute naturelle de Jean, elle accepta à condition de ne pas rester plus de trois minutes. Jean entra dans la chambre. Il fut heureux de voir que son ami le suivait des yeux. Il lui demanda comment il se sentait, Tom répondit qu'il se sentait bien, mais fatigué. Puis il demanda à Jean de lui donner le carnet et le crayon qui se trouvait la poche intérieure gauche de son manteau. Jean ouvrit le placard, glissa ses mains à l'intérieur du manteau et les lui passèrent. Tom le remercia de ce qu'il avait fait pour lui. Rassuré de voir son ami dans cet état, Jean quitta la chambre en lâchant un soupir de soulagement. À peine la porte fut-elle fermée que Tom s'attela à sa nouvelle tâche : il devait à tout prix consigner par écrit l'expérience qu'il avait vécue.

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