L'invention

Chapitre 47

Tom était maintenant seul face au module. Difficile pour lui d'imaginer que ce petit bourdonnement provoqué en appuyant sur l'interrupteur venait de libérer tous les utilisateurs de BeCalm de la malveillance de Christian Park. Soudain, il sentit le doute s'immiscer dans sa conscience, et si cela n'avait pas fonctionné ? Et si le second interrupteur avait été inefficace ? Tom se mit à nouveau à courir, sortit de la salle des serveurs, emprunta les escaliers et retourna dans le bureau de Christian Park, ce qu'il vit alors failli le faire flancher, ses parents, Béatrice, Hervé, Jean et Claire se contorsionnaient de douleur sur leurs chaises, les yeux exorbités, la veine du front dilaté, les doigts tétanisés. Dans un geste violent, inattendu, Claire se jeta en arrière, se cogna la tête sur le sol et ne bougea plus, puis ce fut au tour de Hervé et de Béatrice de perdre connaissance. Tom courut vers Claire et posa ses doigts sur sa carotide à la recherche des battements de son cœur, mais il n'avait jamais fait cela et ne sentait rien. Avait-il placé ses doigts au mauvais endroit ? Il déplaça ses doits et appuya plus fortement sur le cou de Claire, mais il ne sentit toujours rien. Elle était morte, et Hervé aussi, et Béatrice aussi, et sa mère et son père et Jean qui continuaient à se tordre de douleur. Et qu'en était-il de tous les autres, de tous ceux dans le pays qui portaient un casque BeCalm et qui en ce moment étaient peut-être eux aussi en train de mourir ?

— Ah ah ah ! Comme je le disais, on ne fait pas de science sans sacrifice, dit Christian Park au sol, gisant dans son sang.

— Fermez là, répondit Tom.

— Ne comptez pas sur moi pour ça. Vous rendez-vous compte de l'ironie de la chose ? Vous vouliez tous les sauver, et vous les avez tous tués. Il y a quelques minutes encore c'était moi le méchant, et maintenant tous vos proches sont en train de mourir, sans compter tous ceux dehors qui doivent subir le même sort.

— Mais c'est horrible. Qu'est-ce que j'ai fait ?

— De la merde. Comme d'habitude. C'est le chaos complet. Vous êtes dangereux Epstein.

— Taisez-vous. Taisez-vous...

— Vous voulez un bon conseil ? Suicidez-vous tout de suite. Jetez-vous par la fenêtre ou plantez-vous ce tournevis dans la tempe, mais faites quelque chose parce que vous ne parviendrez jamais à expier tout le mal que vous venez de faire.

C'est un enfer, pensa Tom. Pire que de commettre un crime, il y a commettre un crime malgré soi. Celui qui assassine à dessein à certes tort, mais à travers son crime il pense pouvoir améliorer sa vie, que ce soit en empêchant la divulgation d'un secret, en mettant un terme à sa jalousie ou en s'emparant de la fortune d'un autre ; mais celui qui assassine malgré lui se retrouve dans une position qu'il n'avait jamais envisagée, et sans le bénéfice qu'il pense tirer de la mort de quelqu'un d'autre, il ne lui reste alors plus que le poids d'avoir supprimé une existence. Je ne mérite plus de vivre, je ne veux plus vivre, je ne guérirai jamais de cette blessure, en les condamnant, je me suis condamné.

S'il n'y a pas de responsabilité, il n'y a pas de culpabilité. Celui qui est coupable c'est celui qui a agi en sachant qu'il allait faire le mal. Certains actes entraînent la souffrance, voire la mort, sans que son auteur en soit responsable pour autant. Celui qui conduit une voiture sous laquelle se jette un désespéré n'est pas responsable de la mort de celui-ci, il a causé cette mort, mais ne l'a pas provoqué. Et qu'en est-il de celui qui manque de vigilance ? Il ne fait pas le mal volontairement, mais il aurait pu l'empêcher s'il avait été plus prudent. L'imprudence est-elle un crime ? Est-il défendu de perdre le contrôle, de prendre des risques, d'agir sans calculer ? La culpabilité n'est pas objective, certains assassins ont la conscience tranquille, là où certains innocents se torturent jusqu'au supplice. La culpabilité est la maladie de l'empathie, il faut se mettre en résonance avec l'autre pour pouvoir l'éprouver. Tom était-il responsable de la mort de tous ces gens ?