Bernard Allié travaillait dans son laboratoire. C'était l'un de ces grands espaces froids et sans âmes où tout était blanc et aseptisé. Une odeur de renfermé et de produits chimiques flottait dans la pièce, des objets hétéroclites s'amoncelaient sur des étagères en métal, la pièce était grande, pourtant Bernard était seul à y travailler. Au milieu du laboratoire, il se tenait voûté, accoudé sur une table, manipulant un objet, son corps volumineux remplissait toute sa chaise de bureau. Où qu'il soit, cet homme semblait toujours trop grand dans son environnement. Un plafonnier éclairait l'endroit de manière plate et terne, un néon défectueux clignotait depuis des semaines, mais Bernard n'avait jamais pris la peine de le changer, il avait mieux à faire de ses journées.
Il déposa l'objet qu'il tenait entre les mains et se leva brusquement, puis ouvrit un placard et en fouilla le contenu avec de petits gestes rapides et désordonnés. Derrière l'inertie de son corps se cachait l'impatience d'un adolescent, le feu d'un homme passionné par sa mission. Il ne trouva rien dans le premier placard, il le referma, en ouvrit un second, fouilla, toujours rien, un troisième, rien non plus. Il soupira, mit les mains sur ses hanches et leva la tête en l'air. Où pouvait donc se trouver ce module qu'il avait confectionné quelques mois auparavant ? Il regarda autour de lui à la recherche d'un indice, son regard s'arrêta sur une armoire avec des portes coulissantes en plastique, il se dirigea vers celle-ci et au premier coup d'œil il vit ce qu'il cherchait, il fit coulisser l'une des portes, saisit l'objet, puis il retourna à son bureau. Le casque sur lequel il travaillait était une amélioration du prototype F que Tom avait essayé. Il ouvrit le boîtier et y déposa le module qu'il venait de retrouver, à ce moment-là, Christian Park entra dans la pièce sans frapper.
— Alors ça avance ? demanda Christian.
— Oui, monsieur, répondit Bernard.
— J'espère que vous travaillez sur prototype G. Laissez tomber tout le reste. Plus rien ne compte tant que ce produit ne sera pas au point !
— J'y travaille. Je viens justement d'ajouter quelques améliorations et je pense que cette fois-ci tout devrait bien se passer.
— Cela vaut mieux pour vous. On ne peut plus se permettre de cramer des cerveaux à tour de bras. On n'a plus le droit à l'erreur, sinon cela va finir par se savoir.
— Ne vous en faites pas, on progresse. Et puis cette fois Tom Epstein n'est pas mort. C'est déjà ça.
— Oui, mais dans quel état est-il aujourd'hui ? Je ne sais pas s'il va s'en remettre. Vous m'aviez pourtant assuré que cette fois-ci ça marcherait. Je n'aurai pas proposé à un journaliste de faire le test si j'avais su qu'il ferait une attaque et s'en sortirait vivant. S'il décide d'écrire un papier sur tout cela, c'est fini pour nous. Et je ne le permettrais pas.
— On peut peut-être acheter son silence.
— J'y ai pensé... mais vous savez aussi bien que moi qu'elle est la solution la plus sûre pour nous.
— Vous voulez qu'on s'en débarrasse ?
— Attendons encore un peu... mais cela reste mon joker, dit Christian Park en quittant le laboratoire.
Deux mois plus tôt, dans ce même bureau, avec ces deux mêmes hommes, une expérience avait mal tourné. Bernard avait approché un SDF dans la rue et lui avait proposé d'être cobaye pour une expérience. L'homme avait d'abord refusé, mais Bernard lui avait fait la promesse d'une douche, d'un repas et d'une somme conséquente en espèce. Le SDF aurait voulu refuser, il avait tout de suite compris que cela ne se terminerait pas bien, mais il avait froid, il avait faim et il avait besoin d'argent. Il accepta donc à contrecœur. Nos actes sont souvent contraires à notre instinct. Bernard le fit monter dans sa voiture et les deux hommes roulèrent jusqu'au laboratoire. Christian était présent pour l'occasion, se tenant droit, les bras croisés, dans un coin du bureau. Le SDF eût le droit à sa douche et à son repas, puis sous le regard de Christian, Bernard plaça prototype E sur le crâne du pauvre homme. Cinq minutes plus tard, le SDF était mort. C'est Bernard qui se chargea lui-même de dissoudre le corps dans de l'acide.
À nouveau seul dans son bureau après le départ de son patron, Bernard retourna à sa table de travail. Il prit le câble du nouveau module, le brancha au prototype E, puis referma le boîtier. Il alluma et éteignit le casque plusieurs fois pour s'assurer que tout fonctionnait. Puis il fit rouler son fauteuil de bureau vers sa gauche et saisit un plat cuisiné en sachet qu'il mit deux minutes au micro-ondes. Bernard était pragmatique, la cuisine en sachet lui convenait parfaitement, d'ailleurs si les femmes en sachet avaient existé il s'en serait sans doute contenté. En attendant que le plat soit prêt, il alluma un écran. Quatre scènes apparurent. La qualité des images était mauvaise, saccadée, pixelisée, en noir et blanc. La mention live clignotait en haut à gauche de l'écran. On pouvait y voir un petit appartement rempli de livres, un homme allongé sur un matelas et un autre qui lui tendait un seau. Ces caméras diffusaient ce qui se passait en ce moment chez Tom.
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L'invention
Misterio / SuspensoTom Epstein est journaliste. Un jour son patron l'envoie réaliser une interview du milliardaire Christian Park. Ce dernier lui fait essayer sa nouvelle invention révolutionnaire : un casque censé lutter contre la dépression. Mais à partir de là les...