Chapitre 21

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Quelques jours passèrent. En arrivant au bureau ce matin-là, Tom n'avait envie de parler à personne. Le retour de Claire dans sa vie venait ajouter de la perplexité à une existence déjà suffisamment chaotique. Après l'avoir revue, en sortant de chez ses parents, il avait renoncé à écrire son roman ; après leur seconde rencontre, chez lui, il avait raté son rendez-vous avec Charles Legrand. Il fallait que tout cela cesse. En allumant son ordinateur, il vit un post-it violet collé à son écran, c'était un mot de son patron, Viens dans mon bureau, le visage de Tom se contracta, cela ne présageait rien de bon, sans prendre le temps d'installer ses affaires, il marcha jusqu'au bureau de Hervé, en traversant le couloir, à chaque pas son angoisse grandissait.

Le bureau de Hervé était surprenant. Alors que le patron de L'Indépendant supervisait le travail et la productivité d'une centaine d'employés, il était pourtant incapable de maintenir un minimum d'ordre dans son propre bureau. Le plus gros du travail se faisait sur ordinateur, pourtant Hervé réussissait l'exploit d'accumuler des piles de papiers sur sa table de bureau, dans sa bibliothèque et même sur le sol, ces piles étaient constituées de factures, d'articles et de notes, difficile de comprendre pourquoi il imprimait tout cela, et difficile de comprendre pourquoi il était incapable de les ranger dans des classeurs ou de les jeter à la poubelle. Un canapé gris trois place, une table basse en teck, deux statues africaines et un tableau représentant une femme en robe de soirée jaune complétaient ce décor. Tom entra dans le bureau.

— Salut, j'ai vu ton petit mot sur mon ordinateur, dit Tom.

— Je suis content que tu y aies été sensible, répondit Hervé.

— J'ai bien aimé la couleur violette du post-it.

— J'ai hésité à mettre un cœur, mais je trouvais ça un peu m'as-tu-vu.

— Non, c'était très bien comme ça. Direct. Concis. Coloré. Pourquoi tu voulais que je vienne ?

— Parce qu'il faut que je te félicite.

— On est toujours au second degré, là ? Est-ce que je dois m'attendre à des propos ironiques ?

— Non, je suis sincère. Je voulais vraiment te féliciter.

— OK... Et qu'est-ce que j'ai fait pour mériter cela ?

— Tu as gagné le prix du meilleur article du Press Challenge dans la catégorie Société.

— Pardon ?

— Tu viens de remporter le Press Challenge.

— Mais je ne me suis pas présenté au concours...

— Non, c'est moi qui l'ai fait à ta place.

— Attends une seconde... Qu'est-ce que tu racontes ? Mais pourquoi est-ce que tu aurais fait ça ?

— Je te rassure, je ne l'ai pas fait pour toi, mais pour le prestige de notre journal. Les prix ont été annoncés ce matin, et je me suis dit que ça te ferait plaisir de le savoir. Évidemment, ça ne va pas te rapporter un centime, et ne compte pas sur moi pour te faire une prime, mais c'est une excellente pub pour L'Indépendant.

— Tu as présenté quel article ?

Les bienfaits d'une adolescence malheureuse.

Tom avait écrit cet article six mois auparavant. Il en avait eu l'idée un soir dans le bus en observant des adolescents qui sortaient de l'école. Dans la rangée du fond, un groupe de cinq lycéens parlaient fort et rigolaient, ils semblaient confiants et sociables, quelques rangées de sièges en face d'eux, un autre adolescent, solitaire, le regard inquiet, un style vestimentaire épouvantable, écoutait de la musique. Tom s'était alors demandé que deviendraient ces lycéens lorsqu'ils auraient quarante ans, une intuition était née en lui, en rencontrant l'adversité, le doute et la solitude dès l'adolescence, certains individus se voyaient dans l'obligation de répondre à des questions existentielles plus tôt que les autres, leurs chances de devenir des adultes équilibrés étaient alors plus grandes, à l'inverse, les adolescents heureux et protégés ne développaient pas certaines aptitudes indispensables, comme la résilience ou le pardon et avaient une plus grande chance d'être rattrapés par des réalités douloureuses au milieu de leur existence, c'est-à-dire à un âge où les grandes décisions de notre vie, mariage, enfants, métier, ont déjà été prises, c'est-à-dire trop tard. Tom avait discuté de ce sujet avec plusieurs psychologues, puis il avait écrit l'article en deux petites semaines, il ne s'était certainement pas attendu à remporter le Press Challenge.

Il sortit du bureau de Hervé et retourna à son ordinateur. Il avait maintenant l'impression de flotter au-dessus du sol. Avant de trop se réjouir, il vérifia qu'il ne s'agissait pas d'une mauvaise blague de son patron et tapa Press Challenge dans son moteur de recherche, il se sentit fier en voyant son nom apparaître à l'écran, cette bonne nouvelle lui donna l'énergie nécessaire pour travailler à son article en cours, Ambition et solitude, et pour la première fois depuis longtemps il travailla avec bonheur et rapidité, la reconnaissance est un puissant moteur, libéré de ces doutes, il avait l'impression que le monde s'ouvrait devant lui.


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