Tom avait mis deux jours à se remettre de sa séance sous Ayahuasca. Au bureau, il n'avait rien dit à ses collègues. Il avait essayé de se faire le plus discret possible. Jean l'avait appelé matin et soir pour s'assurer qu'il allait bien. À l'issue de son expérience, Tom n'était pas parvenu à trouver un moyen d'aider les autres, en revanche il s'était aperçu qu'il souhaitait en savoir plus sur ses propres origines, à quarante ans passés, il ne savait presque rien de ses parents biologiques. On doit à la pudeur beaucoup de secrets. Il avait donc appelé Sarah, sa mère adoptive, pour lui poser des questions, mais elle ne lui apprit rien qu'il ne sut déjà. Elle n'avait jamais rencontré son père et elle ignorait tout de la vie de sa mère avant leur rencontre. Plus tard, ce soir-là, Tom avait rendez-vous à l'hôpital avec Béatrice Moreau, la neurologue qui s'était occupée de lui après son attaque.
— Alors, comment vous sentez vous ? demanda le Dr Moreau.
— Plutôt bien, répondit Tom.
— Pas de nausée, de vertige, de migraine ou de troubles du comportement ?
— Non, je ne crois pas.
— Avez-vous fait des choses nouvelles depuis votre attaque ?
— Qu'est-ce que vous entendez par là ?
— Est-ce que vous avez fait des choses que vous n'aviez jamais faites auparavant ? Comme voler quelque chose au supermarché ou pratiquer un sport nouveau.
— Je ne sais pas si je devrais vous le dire — je pense même que vous êtes la dernière personne à qui je devrais le dire — mais pour la première fois de ma vie... j'ai pris de la drogue.
— Laquelle ?
— Ça ne va pas vous plaire.
— Dites toujours.
— De l'Ayahuasca.
— D'accord... Est-ce que vous pensez que cela a un lien avec votre attaque ?
— Oui.
— Et en quoi ?
— Disons que depuis l'attaque, ma conception de la vie a quelque peu évolué.
— C'est-à-dire ?
— Pour la première fois de mon existence, j'éprouve le besoin d'aider les autres.
— Et pourquoi ne pas commencer par vous aider vous-même ? Je crois comprendre que vous avez pas mal de fêlures et je crains qu'il vous soit difficile de trouver la force d'aider les autres tant que vous ne verrez pas plus clair en vous-même. Êtes vous préoccupez par des raisons familiales en ce moment ?
— Quel hasard que vous parliez de cela ! J'ai justement appelé ma mère adoptive aujourd'hui pour lui poser des questions sur mes parents biologiques.
— Ce n'est pas un hasard, à mon avis, vous avez entamé un processus il y a quelques mois dont l'attaque n'est pas l'événement déclencheur, mais plutôt le symptôme. Que vous a raconté votre mère adoptive ?
— Rien que je ne sache déjà.
— Voyez-vous un autre moyen de remonter jusqu'à vos parents biologiques ? Un souvenir ? Une lettre ? Un objet ?
Ce médecin est exceptionnel, pensa Tom. Elle parvenait à percevoir les émotions de ses patients avec une acuité qu'il n'avait encore jamais rencontrée chez personne d'autre. Comment était-elle parvenue à voir tout cela en lui en si peu de temps ? Une présence telle que le Dr Moreau était ce qui lui avait manqué toute sa vie. Quelqu'un de plus sage, de plus expérimenté et de plus généreux que lui, quelqu'un qui serait parvenu à démêler les nœuds du réel, à les rendre plus lisses, à lui indiquer la voie à suivre, au lieu de quoi Tom s'était heurté à un destin contrarié, à un entourage névrosé et à des événements traumatiques.
Après la consultation, il était rentré directement chez lui la tête remplie de questions. Une fois chez lui, il se précipita sur la petite boîte en métal qui avait appartenu à sa mère. Pourquoi avait-il repensé à cette boîte durant cette soirée chez Suzanne ? Puis pourquoi avait-il fait tous ces efforts pour la retrouver ? Il la tenait maintenant entre ses mains et la retournait dans tous les sens à la recherche d'un indice, il l'ouvrit et ausculta l'intérieur, dans un recoin, il vit une inscription à laquelle il n'avait jamais prêté attention, Biscuits Legrand.
C'était peut-être une piste. Il reposa la boîte sur son bureau et fit une recherche sur Internet, Biscuits Legrand, des milliers de résultats s'affichèrent, mais pas un seul ne correspondait à ce qu'il cherchait, puis il alla dans la rubrique image où des milliers de photos de biscuits apparurent, il les fit défiler jusqu'à ce qu'une image attire son attention, c'était la photo en noir et blanc d'une boutique sur les vitres desquelles était écrit Biscuits Legrand dans la même typographie qu'à l'intérieur de sa boîte en métal, des hommes et des femmes se tenaient devant la boutique, il s'agissait probablement du patron et de ses employés, parmi eux, il y avait un homme qui ressemblait trait pour trait à Tom.

VOUS LISEZ
L'invention
Mystery / ThrillerTom Epstein est journaliste. Un jour son patron l'envoie réaliser une interview du milliardaire Christian Park. Ce dernier lui fait essayer sa nouvelle invention révolutionnaire : un casque censé lutter contre la dépression. Mais à partir de là les...