Chapitre 39

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Tom passait tout son temps libre à faire des recherches sur Internet à propos du cortex préfrontal, de l'hippocampe et de l'amygdale. Depuis que Béatrice Moreau s'était aperçue que le Prototype F lui avait démolit le cerveau en quelques minutes, chacun de leur côté ils cherchaient un remède. Tous les jours, ils s'appelaient ou s'envoyaient des mails pour discuter de leurs avancées et des pistes à explorer, mais après plusieurs semaines, Tom dut se rendre à l'évidence, malgré son acharnement, il ne parviendrait jamais à trouver une solution à son problème, il n'était ni médecin, ni neurologue, ni chercheur, il ne servait à rien dans cette enquête, son destin était désormais entre les mains de Béatrice. Ces mauvaises nouvelles, associées à la nouvelle physionomie de son cerveau, le plongeaient dans un état de profonde dépression. Conscient de la souffrance de son ami, Jean passa le voir à l'improviste.

— Qu'est-ce que tu fais là ? demanda Tom.

— Salut, moi aussi ça me fait plaisir de te voir, répondit Jean.

— Je ne suis pas sûr que ce soit le moment idéal, je suis en train de faire des recherches, et...

— Et il n'y a jamais rien de mieux à faire que de passer du temps avec ces amis. Alors mets tes recherches de côté et allons nous bécoter sur le canapé.

— Je n'ai pas le cœur à rire.

— Je vois ça.

— Non, je veux dire, je n'ai pas envie de passer du temps avec toi.

— Je t'assure que ça te fera du bien. Si tu veux, on n'est même pas obligé de parler. On peut regarder un film. Je veux juste que tu ne sois pas tout seul.

— Tu es la dernière personne avec qui j'ai envie de passer du temps.

— Pardon ?

— C'est de ta faute tout ça. On n'aurait jamais dû se rencontrer. Depuis que je te connais, ma vie a pris une mauvaise voie. C'est toi qui as toujours couru après le succès. Tu pensais qu'on était géniaux et que le monde avait besoin de nous. Mais regarde à quoi on ressemble aujourd'hui. On fait pitié. On est vieux, on est frustré, on est célibataire, on n'a pas une thune. On n'avait pas les épaules pour tout ça. J'aurai jamais dû t'écouter. Ne jamais essayer d'être écrivain ni journaliste. J'aurais dû rester chez moi planqué, avec une vie simple, des désirs simples et des bonheurs simples. C'est ton ambition qui nous a pourri la vie. Je te déteste.

Tom mit Jean à la porte. Est-ce que tout cela est vrai ? se demanda Jean. Est-ce que je suis responsable de son malheur ? Sa rencontre avec Tom avait été un choc émotionnel, il s'était tout de suite retrouvé en lui, sa structure de pensée, ses centres d'intérêt, son vocabulaire, tout faisait échos avec la manière dont Jean percevait lui-même le monde, et depuis leur première rencontre il n'avait jamais essayé de faire passer ses intérêts devant ceux de son ami. Le temps passant, il avait probablement fait des erreurs, mais toujours malgré lui, peut-être par bêtise, peut-être par faiblesse, peut-être par négligence.

On agit toujours rationnellement et on essaye toujours de faire le bien. On pense souvent que les gens sont irrationnels, qu'ils sabordent eux-mêmes leur vie en faisant des choix inconsidérés. On pense parfois que certains individus souhaitent faire le mal, qu'ils sont motivés par la volonté de faire souffrir les autres. Mais c'est faux. Il y a toujours une raison à nos actions, celui qui boit plus que de raison, celui qui ne se réveille pas le jour d'un entretien important, celui qui conduit trop vite, tous ces actes ne sont pas irrationnels, ils découlent de notre passé et cherchent à provoquer quelque chose, celui qui boit veut se donner du courage, celui qui dort témoigne de son désintérêt pour l'entretien qu'il doit passer, celui qui conduis comme un chauffard cherche le plaisir des sensations fortes, du contrôle ou de la liberté. C'est le monde extérieur qui perçoit ces actes comme irrationnels et les condamne, mais celui qui les commet sait ce qu'il fait et pourquoi il le fait. Ce qu'il cherche à atteindre, malgré le mal apparent qu'il se fait, malgré celui qu'il peut faire aux autres, c'est son propre bonheur.

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