Chapitre 27

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Tom était allongé tout habillé sur le lit de la chambre que Bernard lui prêtait momentanément. Plongé dans ses pensées, il ne faisait rien d'autre que de réfléchir à sa vie, les évènements s'étaient bousculés ces dernières semaines, il se demandait quel était le meilleur moyen d'empêcher Christian Park de développer son invention, il se demandait par quel concours de circonstances il s'était retrouvé impliqué dans cette histoire, il laissait les images défiler dans son esprit, la cérémonie du Press Challenge, ses retrouvailles douloureuses avec Claire et son expérience avec l'Ayahuasca, puis il se leva, chercha son portefeuille et en sortit la feuille sur laquelle il avait imprimé la photo des Biscuits Legrand, il regarda le visage de sa mère, cela le fit sourire, puis ses yeux allèrent chercher le regard de son père, et il éprouva une colère violente. Il devait mettre de l'ordre dans sa vie et dans ses émotions. Il prit son téléphone et appela la neurologue qui s'était occupée de lui lors de son attaque, Béatrice Moreau.

— Comment vous sentez-vous ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas trop justement, répondit Tom.

— Vous avez mal quelque part ?

— Non, je ne crois pas.

— Vous vous sentez fatigué ? Avez-vous du mal à vous concentrer ? Avez-vous un comportement étrange ?

— Non, rien de tout ça...

— Alors pourquoi est-ce que vous m'appelez ?

— Je ne sais pas trop. Enfin, si, mais ce n'est pas vraiment pour une raison médicale... C'est plutôt en raison de ce que vous m'avez dit la dernière fois et qui m'a beaucoup aidé. J'ai eu l'impression que vous me compreniez vraiment, comme personne auparavant, et du coup je voulais juste discuter avec vous.

— Mais vous êtes au courant que je suis neurologue, pas psy ?

— Oh, allez ! Psychiatre, psychologue, neurologue, vous savez très bien que c'est la même chose tout ça, vous êtes spécialiste des tarés.

— Ah ah ! Si vous le dites. Alors, qu'est-ce que vous voulez ?

— La dernière fois que je vous ai vu, vous m'avez dit que mon attaque ne venait pas de nulle part, qu'elle était un symptôme de quelque chose de plus grand, d'un processus entamé depuis longtemps. Vous m'avez encouragé à en savoir plus sur mes origines et c'est ce que j'ai fait d'ailleurs. Malheureusement, j'ai découvert que mon père battait ma mère et l'avait abandonné enceinte.

— Je suis désolé de l'entendre. Et vous pensez que vous pouvez y faire quelque chose ?

— Comment ça ? Pour empêcher mon père de battre ma mère ? C'est un peu tard, non ?

— Non, évidemment, vous ne pouvez pas remonter le temps. Mais est-ce que vous pensez que ce qu'il a fait a eu des conséquences sur votre existence ? Y a-t-il une, ou des, leçons à tirer de tout cela ?

— La conclusion que c'était un sale con, c'est tout.

— Vous en êtes certain ?

— Je...

— Je vous laisse y réfléchir, j'ai un rendez-vous qui m'attend. Au revoir monsieur Epstein.

Béatrice aimait bien Tom. Elle lui trouvait quelque chose de singulier. Ce n'était que la troisième fois qu'elle s'entretenait avec lui, mais elle voyait qu'il était un homme sensible, un peu perdu, mais qui aspirait à une meilleure compréhension du monde et elle se retrouvait dans cette quête de vérité et de profondeur. Les mots qu'il avait eus à son égard l'avaient touché, mais elle ne se considérait pas aussi sage qu'il le laissait entendre, bien sûr elle s'intéressait au genre humain et son métier lui donnait une approche originale, mais elle était loin de détenir une quelconque vérité. En revanche, elle avait le sentiment qu'il y avait quelque chose de particulier entre elle et lui, comme s'ils étaient connectés d'une manière particulière qui lui donnait la possibilité de guider Tom dans sa vie.

Le passé nous détermine. Plus on vieillit, plus l'on accumule les traumatismes et les névroses. À deux ans on est déjà sensible au sentiment d'abandon et à la pression sociale ; à neuf ans on découvre notre premier chagrin d'amour ; à treize ans, on n'est plus étranger au deuil ; à seize ans, on apprend la dépression ; à vingt ans la frustration et l'humiliation ; à vingt-cinq ans, le conflit dans le couple ; et à trente ans, la pression financière. Cette liste sans fin de souffrance nous poursuit jusqu'à notre mort et toutes ces peurs, toutes ces fêlures, tous ces phénomènes que l'on observe et que l'on redoute, toutes ces expériences forment notre personnalité, on ne les oublie pas, mais on les agrège et notre personnalité d'adulte résulte de l'ensemble des techniques que nous mettons au point pour survivre à ces blessures.

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