L'invention

Chapitre 28

La vie commençait à s'organiser chez Bernard. Durant toute la semaine, les deux hommes travaillèrent à leurs projets respectifs ; Bernard fournissait des documents à Tom qui les analysait en prenant des notes ; Tom écrivait son article et demandait à Bernard de lui expliquer les aspects techniques qui lui échappaient ; dans la pièce du rez-de-chaussée, Bernard désossait les boîtiers des anciennes versions du Prototype ; tandis qu'à l'étage Tom faisait des réunions avec Hervé par webcam ; les deux hommes se levaient tôt et se couchaient tard, ils savaient que leur temps était compté et que bientôt ils devaient affronter la tempête Christian Park. Tom fit venir un quatrième avocat qui considéra que les preuves dont il disposait jusqu'à présent contre le milliardaire étaient trop maigres et qui l'encouragea à renoncer à toute poursuivre.

Tom lisait un article qui expliquait l'impact des ondes électriques sur le cerveau humain, lorsque son téléphone vibra. C'était un mail de Claire. Il leva les yeux au ciel et soupira bruyamment. Il cliqua et lut : Bonjour Tom, j'espère que tu vas bien. Je t'écris ce mail pour te dire combien je suis heureuse d'avoir renoué contact avec toi. Je sais que c'est moi qui t'ai quitté et que tu en as souffert. Je sais aussi que tu préférerais qu'on reste loin l'un de l'autre, tu me l'as fait savoir. Mais c'est plus fort que moi, je me dis qu'on pourrait réapprendre à nous connaître et créer une nouvelle relation, on ne serait plus un couple, on ne serait pas des amis non plus, ce serait quelque chose de différent, peut-être pourrions-nous être des ex. Qu'en dis-tu ? Serais-tu d'accord pour qu'on en parle, chez moi, vendredi soir ? J'espère que tu accepteras. Je pense à toi. Claire.

Tom relut le mail plusieurs fois, puis il décida d'attendre le lendemain avant d'y répondre. Une guerre se jouait en lui avec d'un côté la joie de compter à nouveau pour elle et de l'autre la douleur de raviver cet amour enterré. Plus par faiblesse que par envie il accepta le rendez-vous. Le soir venu, alors qu'il roulait en direction de chez elle, ses émotions étaient toujours en conflit, il n'arrivait pas à comprendre le comportement de Claire. L'aimait-elle encore ? Souffrait-elle de la solitude ? Essayait-elle de se raccrocher au passé ? Voyait-elle clair dans tout cela, ou est-ce qu'elle aussi était perdue, incapable de savoir où elle allait ? Tom gara sa voiture et sonna à la porte, Claire lui ouvrit, ils se dirent les amabilités d'usage et s'installèrent dans le salon, ce salon dans lequel ils avaient autrefois été heureux.

— Je suis contente que tu sois venu, dit Claire.

— Ça me fait plaisir de te voir, même si j'ai aussi envie de me rouler de douleur sur le sol, répondit Tom.

— Ah ah ! ne dis pas ça.

— Je le pense.

— Au fait, je ne t'ai pas félicité pour ton article.

— Eh oui, mon expérience de mort imminente m'a rendu célèbre, à ce stade-là c'est presque un succès posthume.

— Cela va bien plus loin que ça. Tu as pointé du doigt le cynisme des multinationales et leur mépris pour leurs clients. Je ne serais pas surprise qu'on découvre dans les prochaines semaines d'autres affaires de ce genre. C'était vraiment audacieux, voire dangereux de ta part, mais en tout cas félicitations.

— Ne t'en fais pas pour moi, j'accepte tes compliments.

— Et tu travailles sur quoi en ce moment ?

— Le même sujet, mais plus en profondeur et avec des révélations bien plus importantes.

— Oh, vraiment ? Tu sais que tu risques quand même gros dans cette histoire.

— Oui je sais, mais je veux quand même l'écrire.

— Dis m'en plus.

— Pourquoi ? Pour que tu me dissuades de le faire ?

— Non, mais je pourrais peut-être t'aider à prendre des précautions.

— Merci, mais je n'ai pas besoin de toi. Je vais écrire cet article comme je l'entends, sans que tu aies besoin de me couvrir ou de m'empêcher de faire des conneries.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire.

— Je ne me laisserais pas ralentir par toi Claire. Tu m'as déjà fait perdre trop de temps, trop de bonheur, trop d'énergie. Je n'aurais pas dû accepter de venir ici.

— Calme-toi, j'ai quelque chose à te dire à propos de tout cela. Je ne t'empêche pas d'écrire ton article, au contraire je cherche à t'aider.

— Rien de tout cela ne m'aide. Être ici avec toi ne m'aide pas, ça me fait juste peur, ça me fait douter, ça me rend triste. Mais qu'est-ce que je fous ici ? Au revoir.

— Attends !

Tom sortit de chez Claire en claquant la porte. Sur le chemin du retour, il avait envie de hurler son désespoir. Depuis qu'elle était revenue dans sa vie, elle l'avait fait abandonner l'écriture de son roman, elle lui avait fait manquer son premier rendez-vous chez Charles Legrand et voilà qu'elle voulait l'empêcher d'écrire l'enquête la plus importante de sa carrière. Elle voulait le protéger des autres, mais c'était d'elle dont il devait apprendre à se protéger. Il était fatigué de penser tout le temps à elle, fatigué de lui parler, fatigué de remuer le passé. Leur histoire était finie, tant pis, il ne la verrait plus jamais de sa vie.

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