L'invention

Chapitre 48

Mais un miracle se produisit. Alors que Tom pensait sa vie terminée, alors qu'il était submergé par la culpabilité, la tristesse et l'effroi, il vit quelque chose qu'il ne comprit d'abord pas. La main de Claire venait de bouger. Son imagination lui jouait-elle des tours ? Claire soupira et remua doucement son corps. Tom n'était pas sûr de ce qu'il voyait, ses émotions venaient d'être malmenées et il ne faisait plus confiance à ses sens, mais lorsqu'il vit Claire ouvrir les yeux, il courut vers elle et la serra dans ses bras. Elle était vivante. Tom tourna la tête et vit que sa mère, son père, Béatrice, Jean et Hervé, se réveillaient aussi. Ils n'étaient pas morts, ils ne semblaient pas souffrir, ils n'étaient pas hébétés. Ils étaient ligotés à leurs chaises, bâillonnés, épuisés, mais vivants. Le module créé par Bernard Allié avait fonctionné, en le déclenchant Tom avait provoqué un choc violent, mais il ne les avait pas tués. Quand il avait voulu prendre le pouls de Claire, il avait été trop paniqué pour sentir quoi que ce soit, trahi par sa vision, trahi par ses angoisses les plus profondes et Tom s'était persuadé qu'il avait tué tout le monde. Mais maintenant il les voyait vivants et libres.

Ensuite, tout alla très vite. Tom libéra ses proches des chaises sur lesquels ils étaient ligotés, il leur retira les bâillons qui les entravaient, et il ligota Christian Park et le vigile ensemble, puis appela la Presse pour qu'elle s'empare de l'affaire. Tom, Hervé, Jean, Claire, Béatrice, Sarah et Pascal quittèrent la Park Industry Tower et se rendirent à l'hôpital. Puis ce fut au tour de la police de se rendre dans la tour et d'assister à l'étrange tableau de Christian Park et son vigile gisant au sol, baignant dans leur sang, il allait leur falloir du temps pour comprendre ce qui s'était passé, pour parvenir à démêler tous les fils de la réalité. Qui étaient les coupables ? Qui étaient les innocents ? De quelles preuves disposait-on ? À l'hôpital, Béatrice utilisa la cellule de crise qu'elle avait créée auparavant pour faire passer des tests aux six survivants et découvrit avec plaisir que personne n'avait la moindre lésion cérébrale. Sur le plan médical, la dernière version du Prototype créé par Bernard Allié s'était avérée parfaite, s'il n'avait pas fallu toutes ces morts pour y parvenir, et si Park n'avait pas insisté pour la transformer en moyen de contrôle et de manipulation, elle aurait pu servir la société. Quant aux milliers d'usagers de BeCalm, certains s'étaient rendus à l'hôpital inquiets de la crise qu'ils venaient de subir, mais personne ne dut déplorer de séquelles importantes. De son côté, l'opération de Béatrice sur le cerveau de Tom était un succès, et celui-ci était définitivement débarrassé des troubles psychiques que le Prototype F lui avait infligés.

Quelques jours plus tard, Hervé consacra un numéro spécial de L'Indépendant à l'affaire BeCalm. Il y reconstituait rigoureusement chaque étape de la création de cette folle invention, il y racontait la prise de contact de Christian Park avec le comité éthique de Claire, il y racontait la première rencontre entre Tom et le milliardaire, puis comment le journaliste lui avait servi de cobaye, puis l'article que Tom avait écrit et qui avait fait tant de bruit, puis les menaces de mort proférées par le milliardaire, puis le rôle de Bernard Allié dans la création du casque, puis le remède de Béatrice pour soigner Tom, puis la captivité de tous les proches de Tom, et enfin tous les cobayes morts d'avoir essayé les versions ultérieures du Prototype. Le numéro révélait aussi la véritable nature de BeCalm, outil capable de connaître toute la vie psychique de ses utilisateurs et de les manipuler. Cette dernière révélation suscita une nouvelle explosion médiatique considérable. Hervé avait rendu publiques les pièces jointes envoyées par Bernard à Tom et qui prouvaient ces allégations, tout y était raconté avec la plus grande rigueur, pas un seul élément ne fut omis, on n'y trouva pas la moindre approximation, à l'exception d'un léger détail.

— Comment ? dit Jean. Mais pourquoi tu as fait ça ?

— Parce que je savais que ça te ferait plaisir, répondit Tom.

— Mais c'est faux.

— C'est presque vrai.

— Pourquoi ne pas avoir dit que c'était toi qui avais enclenché le module ?

— Parce que tu en as plus envie que moi. Parce que j'aspire à me faire tout petit. Et puis un peu pour m'excuser aussi.

— Donc, tout le monde va penser que c'est moi qui ai affronté Christian Park et qui les ai libérés de son emprise diabolique.

— Exactement. Tu vas devenir célèbre.

— Mais c'est beaucoup plus que ça. Je vais devenir une légende.

— Oui. Tu es le nouveau sauveur de la Nation.

— Tu vois, j'avais raison quand je te disais que je deviendrais célèbre.

— Ah ah !

— Le travail fini toujours pas payer, Tom.

Jean exultait. C'était le plus beau cadeau qu'on lui ait jamais fait. Il était heureux d'endosser ce nouveau rôle, heureux de l'attention particulière qu'il allait susciter, heureux des opportunités que cela allait créer, mais plus que tout il était heureux de retrouver le Tom qu'il avait toujours connu, cet être généreux, imprévisible, brillant, audacieux et un peu fou. Cette épreuve les avait rapprochés et au fond il n'attendait rien de plus de la vie que de passer du temps au côté de son meilleur ami. Jean était ivre de joie et il avait hâte de connaître ce que l'avenir lui réservait.