Chapitre 35

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Bernard Allié travaillait dans le semblant de laboratoire qu'il avait créé chez lui. Il ne se sentait pas tranquille depuis que Tom avait pris la fuite, et il craignait à chaque instant que la police débarque chez lui. Il travaillait jour et nuit sur la nouvelle version de son prototype, mû par une énergie qu'il ne soupçonnait pas, conscient qu'il vivait ces derniers instants de liberté, il se consacrait à sa tâche avec ardeur, ne prenait plus le temps de manger, ni de sortir, ni de voir du monde, il n'aspirait qu'à apporter la touche finale à l'invention qui lui apporterait la gloire. Ce soir-là, alors que, voûté sur son ordinateur, il entrait des lignes de codes, il entendit une vitre se briser, instantanément il lança une sauvegarde sur son disque dur et se précipita vers la porte de son bureau pour la verrouiller, mais trop tard, les deux policiers qui venaient de menacer Tom étaient maintenant chez lui, habillés en civile, des barres à mine à la main, ils se précipitèrent sur Bernard qui tenta de s'enfuir par la fenêtre avant d'être rattrapé par l'un des hommes et frappé dans le dos par l'autre. Conscient qu'il était inutile de résister, il se rendit et une demi-heure plus tard, il se retrouvait seul dans une pièce sans fenêtre à l'intérieur de la Park Industry Tower. La porte s'ouvrit, Christian Park fit son entrée.

— Qu'est-ce qui vous est passé par la tête Bernard ? dit Christian Park. Vous pensiez vraiment que les choses allaient être si faciles ? Qu'il vous suffirait de voler tout mon matériel, de ne plus venir au bureau et de vous réfugier chez vous ? On se connaît bien pourtant, vous savez que je suis très pointilleux. Mais j'avoue que vous m'avez étonné. Je ne pensais pas que vous pouviez faire quelque chose d'aussi stupide.

— Ne parlons pas de stupidité entre nous, répondit Bernard, vous risqueriez de vous mettre dans une position inconfortable.

— Pourquoi m'avez-vous trahi ?

— Je ne vous ai pas trahis, je n'ai fait que récupérer ce qui m'appartient depuis le début.

— Ça tombe bien, vous allez être heureux, maintenant que vous êtes séquestré ici vous allez pouvoir choyer votre petit joujou toute la journée sans la moindre distraction.

— Vous ne me forcerez pas à travailler.

— Non, c'est vrai, je ne vais pas vous forcer, vous allez travailler de vous-même. Parce que cela vous passionne. Rien n'est plus important à vos yeux que ce casque, et ça tombe bien parce qu'il en va de même pour moi. Alors, voilà ce qui va se passer maintenant, vous allez travailler sur Prototype H, et cette version sera la dernière. Débrouillez-vous pour qu'on puisse la sortir très, très, très vite. Cet imbécile de Tom Epstein a essayé d'en empêcher la sortie et a suscité exactement l'opposé de ce qu'il voulait, notre invention n'est pas encore au point que le monde entier la connaît et la désire déjà. Allez au boulot, petit génie.

Christian Park avait toujours aimé se projeter dans la tête des autres. Il avait ce qu'il fallait d'empathie pour les comprendre et ce qu'il fallait de vice pour les juger et tirer profit de leurs faiblesses. Cet homme intelligent, sensible, curieux et plein d'énergie voyait le monde comme une perpétuelle compétition, chacune de ses actions visait à réaffirmer sa supériorité, qu'elle soit intellectuelle, sociale ou physique, son ego était un ogre insatiable. Dans le monde de Christian Park il y avait les forts et les faibles ; les forts devenaient ses alliés, et les faibles n'existaient que pour le servir.

Combien d'hommes l'ambition a-t-elle détruits ? Combien d'hommes, aveuglés par leur désir, se sont-ils perdus ? Vouloir c'est souffrir, vouloir c'est espérer être ce qu'on n'est pas, et avoir ce qu'on a pas. Le petit souffre de ne pouvoir être grand, le pauvre souffre de ne pas être riche, et l'amoureux souffre de voir son amour éconduit. Le désir, c'est avoir constamment soif, c'est avoir constamment faim, c'est cette douleur au creux du ventre, au creux du cœur, et qui nous empêche d'apprécier le monde tel qu'il est ; c'est cette tension qui met le monde en suspend dans l'attente qu'on la calme. Et l'ambition c'est le désir poussé à son paroxysme. L'ambition c'est avoir beaucoup, mais en vouloir encore plus. Cette attente fébrile est responsable de tous les maux, c'est elle qui rompt le lien entre les hommes, c'est elle qui pousse à voler, à violer et à tuer, c'est elle qui déshumanise et rend le monde moins beau.


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