Chapitre 29

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Tom n'était pas d'humeur à rentrer directement se coucher. Au volant de sa voiture, il rejoua mentalement la scène qui venait de se passer, une fois, deux fois, trois fois... Pour essayer de se changer les idées il mit la radio, mais c'était trop tard, il était enfermé dans sa tête, le monde extérieur n'existait plus et ni le temps, ni la route, ni la musique ne parvenaient à le calmer. Il commença à paniquer, sa respiration saccadée se fit de plus en plus rapide et il essaya de reprendre le contrôle en se forçant à inspirer et expirer profondément, mais rien n'y faisait, son cœur s'emballait, ses mains étaient moites, il était en train de paniquer. En quittant le périphérique, il passa devant l'université qu'il avait fréquentée quand il était étudiant en philosophie, cela lui donna une idée, il sortit son téléphone et proposa à Jean de venir le rejoindre sur l'esplanade en face de l'établissement. Trente minutes plus tard, son ami arrivait avec un pack de bière à la main.

— Pour une fois que c'est toi qui appelles pour qu'on se voie, dit Jean.

— Je sais, je fais beaucoup de choses de travers, répondit Tom.

— Mais non, je disais ça pour te taquiner. Alors, dis-moi ce qui ne va pas ? C'est juste un accès de nostalgie ou ça va plus loin que ça ? Tu ne vas quand même pas me demander en mariage, dis-moi ?

— Ha ha ! Non, ne t'inquiète pas. Je t'ai appelé parce que j'étais en train de conduire et j'ai commencé à faire une crise de panique.

— Mince...

— Mais ça va mieux maintenant. Je crois que j'avais simplement besoin de voir un ami.

— Je suis là. Ne t'inquiète plus. Tu peux m'appeler n'importe quand.

— Oui, je sais. Je suis fatigué de ma vie, fatigué de ce que je fais subir aux autres, mes absences, mon comportement de Pit Bull, mes obsessions, mes névroses, mes frustrations. Je voudrais que la vie soit plus simple.

— On est tous comme ça, tu sais. Certaines personnes ont peut-être l'air d'avoir une vie plus douce, plus heureuse, plus innocente, mais au fond de nous tous c'est le chaos.

— Tu te souviens à l'époque où on allait à la fac... On ne savait pas encore que la vie serait aussi pénible, qu'on deviendrait ce qu'on est devenu.

— C'est vrai, mais à l'époque on ne savait pas grand-chose, tout court. N'idéalise pas trop le passé, à l'époque aussi c'était dur pour nous, tu te souviens.

— Tu as raison. Ça a toujours été dur.

— Ça a aussi été bien.

Vingt ans plus tôt, sur cette même esplanade, en face de l'entrée de leur université, Tom et Jean avaient noué les liens d'amitié qui les unissaient encore aujourd'hui. Après avoir pris l'habitude de s'asseoir l'un à côté de l'autre à presque tous les cours, ils s'étaient retrouvés là un soir, rejoins par deux copines de Jean, ensemble ils avaient commencé à boire et malgré le froid, ils étaient restés de longues heures à discuter, à rigoler et à chanter. Vers minuit Jean avait embrassé l'une des deux filles et dans la foulée l'autre avait embrassé Tom en rigolant. Ils s'étaient ensuite rendus dans le minuscule appartement de Jean et avaient écouté de la musique en fumant, avant de s'endormir chacun leur tour, deux sur le lit et les deux autres sur le canapé.

Ils étaient maintenant adultes et en repensant à cela, Tom avait l'impression qu'il s'agissait des souvenirs d'une autre personne, une personne plus légère et plus libre et qui ne lui ressemblait pas. Tom et Jean discutèrent encore de longues heures jusqu'à ce que le jour fasse place à la nuit, les premiers rayons de soleil commencèrent à se refléter dans les vitres de l'université et les deux hommes semblaient avoir épuisé leur flot de paroles, ils étaient maintenant silencieux, l'esprit engourdi par cet excès de pensées, de souvenirs et d'émotions. Tom songeait à ses vingt ans, à ses trente ans et à sa vie actuelle. Toutes ces années d'efforts et de souffrance pour en arriver là aujourd'hui. À quoi bon ?

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