Chapitre 34

272 36 2
                                    

Tom vivait maintenant chez Claire. La solitude de son propre appartement lui manquait et il savait qu'en restant ici cela constituait un danger pour elle, mais il n'avait pas les moyens de vivre à l'hôtel et il trouvait auprès de Claire une forme de réconfort dont il avait besoin. Le troisième jour, alors qu'il consultait la presse sur son téléphone portable, il tomba sur un article dans lequel l'auteur y expliquait le manque de rigueur professionnel de Tom et réduisait son article contre Christian Park à une simple volonté de se faire de la publicité ; un second article publié par un journal concurrent venait appuyer ce point de vue, témoignages anonymes à l'appui, Tom y était présenté comme un arriviste sans déontologie et près à tout pour connaître le succès ; un troisième article mettait, lui, en cause, le patron de L'Indépendant, Hervé, qui aurait publié l'article de Tom dans le seul but d'accroître ses ventes ; un quatrième article affirmait avoir mené une contre-enquête et rencontré des cobayes du Prototype G qui y décrivaient le bien-être ressenti après avoir testé cette invention révolutionnaire. Tom les lut tous compulsivement et tomba sur le résultat d'une commission diligentée par l'État à propos du Prototype G expliquant qu'après une étude poussée, l'invention avait été jugée inoffensive, commercialisable en l'état, et que rien ne permettait de prouver les allégations de Tom à propos des prototypes précédents. Autrement dit, Park Industry était lavé de tout soupçon.

Minute après minute, de nouveaux articles étaient publiés, Tom y retrouvait les mêmes tournures de phrases, les mêmes expressions, les mêmes accusations, la presse prenait soudain unanimement la défense de Christian Park et Tom passait pour un escroc. Quelqu'un sonna à la porte, Tom se leva, hébété par toutes ces nouvelles, et marcha en direction de l'entrée, il regarda à travers l'œil-de-bœuf et vit deux policiers en uniforme. Devait-il ouvrir ou prétendre que la maison était vide ? Ces policiers venaient-ils pour l'aider ou l'accuser d'un autre crime qu'il n'avait pas commis ? Tom ouvrit la porte.

— Tom Epstein ? demanda l'un des deux policiers.

— Oui, mais comment savez-vous que je vis ici ?

— Regardez notre uniforme, ça ne vous dit rien ?

— Si, un show de cabaret.

— Quelqu'un nous envoie pour vous dire de ne pas bouger une oreille.

— Je ne comprends pas ?

— Ne tentez rien. Faites-vous tout petit. Ceci est votre dernier avertissement.

— Dernier avertissement avant quoi ?

— Avant que vous soyez victime d'un accident de la route, par exemple.

— Mais vous êtes qui, au juste ? Des flics ripoux ?

— Ne faites rien de stupide. Il n'y aura pas de prochaine fois. Au revoir Mr Epstein.

Tom referma la porte et réfléchit. La situation était désespérée, il avait désormais la preuve de ce qu'il redoutait, la police était corrompue et il ne pouvait pas compter sur elle pour l'aider ; la prétendue commission commanditée par l'État et innocentant Park Industry prouvait que le gouvernement était corrompu lui aussi ; le déferlement d'articles publiés depuis ce matin venaient de ruiner sa réputation pour longtemps ; sa planque chez Claire n'en était déjà plus une ; et voilà qu'il subissait des menaces de mort. Qu'était-il censé faire maintenant ? Comment la vérité pouvait-elle être bafouée à ce point ? Comment l'argent pouvait-il donner tant de pouvoir un homme ?

Il eut soudain la certitude qu'il ne sortirait pas vivant de cette affaire. C'était trop tard pour lui, l'issue serait soit sa mort physique, soit une mort symbolique, une mort éveillée, où il serait déclassé, sans liberté, avec un sentiment de peur constant, une vie sans joie, une vie qu'il achèverait peut-être lui-même pour ne plus avoir à souffrir. Son existence telle qu'il l'avait connu jusqu'à présent était derrière lui et tout ce qu'il pouvait faire désormais c'était d'essayer de protéger son entourage. Il prit son téléphone et appela Claire, du fait de l'avoir aidé elle était probablement en danger, il devait l'avertir le plus vite possible, lui dire de quitter son travail, de trouver un endroit où se cacher, la sonnerie sonna, une fois, deux fois, trois fois, Claire ne répondit pas, il raccrocha, puis rappela, la sonnerie sonna, Claire ne décrochait pas. Pourquoi ne répondait-elle pas ? Le répondeur se déclencha. Allo, c'est Tom, tu es en danger, rappelle-moi quand tu as mon numéro, et d'ici là trouves un endroit où te cacher. Il faillit ajouter, je t'aime, mais dit simplement, je suis inquiet.

L'inventionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant