Chapitre 15

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Essayons de mieux comprendre ce que Tom avait en tête. Qu'avait-il ressenti durant son attaque ? Qu'attendait-il de l'Ayahuasca et pourquoi souhaitait-il désormais aider les autres ? Ce qu'il avait ressenti c'était l'expérience de communion la plus intense qu'il ait vécu de sa vie. Lui qui s'était toujours senti isolé, en lutte avec le reste du monde, essayant de trouver sa place, pour la première fois il s'était senti connecté, il avait compris combien certaines personnes l'avaient aidé et combien il pourrait aider les autres. Et aujourd'hui, il attendait de l'Ayahuasca qu'elle lui fasse revivre, du moins partiellement, cette expérience. Il éprouvait le besoin de se reconnecter à cette sensation avant d'entreprendre sa vraie quête. Cette quête, c'était aider les autres. Comment ? Il ne le savait pas encore. Mais il comptait sur l'Ayahuasca, pour l'aider à trouver la réponse.

Tom roulait en direction de chez lui lorsqu'il reçut un texto d'un numéro anonyme. Salut Tom, ce soir, 23h30 sur le parking en face de l'immeuble Trinité. C'était Ryan. Il cria de joie dans sa voiture. Il savait que Ryan était la seule personne en ville capable de lui procurer ce qu'il cherchait. L'immeuble Trinité était à quinze minutes en voiture de là. Il était presque 23h, il arriverait donc en avance. Tant pis, il n'aura qu'à attendre un peu. Il roula jusqu'au point de rendez-vous en essayant de se remémorer la dernière fois qu'il avait vu Ryan. C'était trois ans auparavant. Puis il arriva sur le parking, se gara, coupa le moteur et décida de faire un tour dans le quartier.

C'était un endroit laid que la nuit rendait sordide. Sur le parking, il n'y avait que des voitures cabossées, certaines sans roues reposaient sur des parpaings. Il marcha droit devant lui. Les immeubles étaient plats, avec des couleurs ternes, pas de vie de quartier, pas de magasin, pas de statues, pas de parc. Le quartier entier semblait avoir été dessiné et construit par des gens trop pressés pour s'en préoccuper. Parfois, dans le hall d'un immeuble ou adossés contre un mur, Tom croisait des groupes de gens silencieux qui le regardaient passer. Difficile d'être heureux en vivant ici. Il regarda sa montre, il était temps de retourner au parking. Au loin il aperçut la silhouette de Ryan, il marcha dans sa direction.

— Salut Ryan, dit Tom.

— Salut, je n'étais pas sûr que c'était vraiment toi, répondit Ryan. Ça me fait plaisir de te voir. Qu'est-ce que tu deviens ?

— Rien de nouveau, toujours journaliste. Et toi ?

— Pareil, rien de nouveau. Maurice m'a filé ta carte. Il m'a dit que tu cherchais à te procurer quelque chose. Un nouveau reportage ?

— Ça va te surprendre, mais non, je cherche juste du matos.

— J'aurais tout vu. Et qu'est-ce qu'il te faut ?

— C'est un peu particulier. Je ne suis pas sûr que tu en aies. Je ne sais même pas si on peut s'en procurer en France, mais je me suis dit que si c'était possible c'était par toi qu'il fallait que je passe.

— Putain, qu'est-ce que tu vas me sortir ?

— De l'Ayahuasca.

— Ah ouais quand même ! Tu sais que c'est un truc costaud, hein !?

— Oui, oui, je sais, je ne suis pas très inquiet. Disons que j'ai déjà eu une expérience de ce type et que je veux recommencer. Tu pourrais m'avoir ça ?

— Ouais, bien sûr. Mais ça va prendre un peu de temps. Tu peux attendre la fin de la semaine.

— Bien sûr, aucun problème. J'attends que tu m'appelles.

— OK, on fait comme ça. Tu voulais autre chose ?

— Non.

— Dans ce cas je ne m'attarde pas. Je t'envoie un texto dès que j'ai ta commande.

— Merci. Au revoir.

— Tchao !

Certains confins de certaines villes ne ressemblent en rien à ce qu'on trouve ailleurs. Les immeubles, les gens et les comportements y sont uniques. À trois kilomètres de là on se salue, mais ici on s'observe. À quelques rues d'ici on est anonyme, mais là on appartient à des clans. Dans ces zones étranges, qui semblent suspendues au milieu de nulle part, il y a pourtant des vies, il y a des jeunes, des vieux, des hommes et des femmes, il y a des amis, des mariages et des familles. Et enrobant toutes ces vies, sans qu'on sache pourquoi, il y a la pauvreté, la violence et l'ennui. Les moyens de s'en sortir sont quasiment nuls. Vivre ici c'est vivre au purgatoire. Ne rien attendre hormis un miracle.

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