Plus que l'amour lui-même

21. Hedwige

       Je rentre dans ma chambre en traînant du pas. Bon dieu, mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Mia Cooper n'est donc pas une victime. Ce n'est pas le pire. Nicolae a qualifié la manipulation de Mia, de viol. Il a dû réfléchir avant d'utiliser un mot aussi puissant. Viol. Transformer un autre en vampire doit vraiment être un acte puissant. J'ai toujours imaginé que les vampires, s'ils existent, n'ont pas d'âmes ; qu'ils mordent comme un loisir en prenant plaisir à condamner des esprits innocents à la solitude éternelle. Visiblement, ce genre de monstre existe, et il semble en tous points correspondre à ce fameux Viktor Bartholy. Cependant, j'ai l'impression que pour ceux comme Drogo, c'est une preuve de confiance. Une preuve de confiance encore plus puissante que l'amour. Un acte qu'on l'a obligé à faire. Je commence à détester Mia à mon tour.

       Je m'assois sur les petits coussins contre la fenêtre donnant sur la forêt du manoir. La lune est pleine dans le ciel, et il ne semble n'y avoir aucun autre astre. Le vent souffle fort, et j'entends des loups loin derrière les montagnes. Jusqu'où s'étendent ces arbres ? Jusqu'où peuvent-ils chasser ? Il y a une petite aire de jeu en-dessous de ma fenêtre. Une aire de jeu pour Lorie. Cela doit être si dur de vivre éternellement, mais si en plus c'est dans le corps d'un enfant... Nicolae, Peter et Drogo peuvent se laisser pousser un peu la barbe et s'intégrer ainsi dans la société et vivre une vie d'adulte. On pensera simplement que ce sont des hommes magnifiques qui ont la chance de ne pas avoir de rides. Mais Lorie... Depuis combien de temps exactement subsiste-t-elle dans le même corps ? Nicolae a dit qu'elle vient de la fin du Moyen-Âge, mais c'est une période extrêmement longue. Est-ce qu'elle a grandi, dans sa tête ? Souffre-t-elle de sa condition ?

       Je me suis déjà beaucoup posé de questions sur l'immortalité, à quel point ça peut être horrible, et à quel point ça peut être génial. A vrai dire, je change d'avis à chaque fois que j'engage un débat avec moi-même sur ce sujet. Mais comment est-ce que, eux, ils le vivent ? Nicolae et Peter sont bien plus vieux que Drogo. Je ne réalise toujours pas à quel point. Voilà cinq et trois siècles qu'ils partagent leur existence avec les humains, qu'ils s'attachent à des gens avant de les voir mourir. Je suppose que l'idéal serait de vivre dans une communauté avec d'autres vampires. Ainsi, on ne perd personne. Peut-être que c'est ainsi qu'ils ont décidé de vivre ? En s'isolant du reste du monde. Depuis combien de temps Peter et Drogo revoient les mêmes programmes scolaires ? D'ailleurs, est-ce qu'ils déménagent régulièrement, pour ne pas attirer le regard des curieux ?

       Je retourne mes pensées vers mon blond. Il est très perturbant. Parfois, il semble être le maître du monde, avec une aura si puissante que je me plierais à ses moindres désirs. Parfois, il a l'air simplement détruit.

       Je continue à réfléchir, en boule contre le verre froid. Ces multiples révélations soulèvent tant de questions. J'entends un léger bruit à ma fenêtre. Je soulève mon visage d'un coup, ne m'attendant absolument pas à ça. Une chouette est posée sur le rebord, et donne des grands coups de bec sur la vitre. J'ouvre aussitôt, plus pour la faire partir que la faire rentrer. Mais une fois un espace suffisamment grand découvert, elle fonce à l'intérieur de la pièce, avant de se poser sur l'abat-jour de ma lampe de chevet.

       Je reste figée, probablement pour être sûre de ne pas l'affoler. Elle est assez grosse. A vrai dire, je n'ai jamais vu de chouette d'aussi près, donc je n'ai pas d'expérience à laquelle la comparer. Ses plumes sont d'un blanc immaculé, avec sur quelques-unes une pointe noire de jais. Elle est sublime. Ses yeux sont énormes et d'un bleu lagon encore magnifique. Je ne savais pas que les chouettes pouvaient être aussi belles.

       Je m'approche doucement, fascinée par elle. Elle ne recule pas. Au contraire, elle s'envole et vient se poser sur mon épaule. Ses « pattes » me font un peu mal à cause de ses longues griffes, mais je suis trop émerveillée pour m'y intéresser. Est-ce normal qu'elle s'approche autant d'une humaine qu'elle ne connaît pas ?

       La chouette frotte affectueusement sa tête plumée contre la mienne. Je suis toujours figée par cette situation. Après tout ce qui m'arrive, je fais ami-ami avec un animal ? Remarque, plus rien ne devrait m'étonner. Ce n'est pas la chose la plus étrange qui me soit arrivée.

   - Tu me fais penser à quelqu'un, je souris, Hedwige.

        Elle réagit aussitôt à l'entente de ce nom. Je sais, j'aurais pu faire plus original mais ça me semblait tout bonnement parfait. En plus, elle semble l'apprécier, puisqu'elle se frotte d'autant plus contre mon visage, m'étouffant presque. Je passe le reste de ma nuit avec elle, à exprimer mes pensées sur les Bartholy à voix haute. Je deviens complètement folle.

Chapitre écrit le 30 mai 2020.

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Chapitre publié le 1er décembre 2020.

Le chapitre étant court, un autre sera publié juste après.